You don't get a flashing warning sign that you're about to damn yourself ✧ Tajin

Le vent se leva bien avant le crépuscule.  
Les murs semblaient vibrer, agités par la cacophonie de quelques soûlards: leur écho étouffé, leurs rires qui dégringolaient. Jin pouvait presque se les figurer, titubant de table en table, le visage gonflé par l'alcool, à la recherche de cette cotonneuse apathie qui poussait chaque homme à être ivre. Il aurait voulu s'en aller, marcher vers l'extérieur dans l'hébétude nocturne d'une soirée à peine née. Mais à chaque fois que l'idée s'esquissait, traçait les arabesques de la raison sous la courbe de son front, il se retrouvait empêtrer dans quelques ardentes suppositions, s'interrogeant sur l'étrange schéma qu'on lui avait dressé de son client.  

Il en avait relevé les incohérences sans pouvoir y apposer un sens - tout à chacun avait un millier de raisons de se cacher à Talevir. Il y était habitué après tout, aux excès de méfiance et aux tierces qui refusaient de donner leur nom. Mais c'était bien la première fois qu'il avait droit à un tel étalage de précaution.

La pièce était mal éclairée, à peine de quoi distinguer le visage de la personne à laquelle on s'adressait.  Pourtant, elle semblait vivre de son propre organisme, animée par la clameur des conversations en cascades et du mouvement perpétuel des clients qui allaient et venaient. Il y avait quelque chose d'inconfortable, dans ce constant mouvement, comme s'il n'y avait pas assez d'oxygène pour qu'ils puissent tous respirer convenablement. Chaque souffle en semblait pénible. Et la fumée des encens vous étourdissait légèrement. Drôle d'endroit pour rencontré quelqu'un pour la première fois. Ou tout au contraire, n'aurait-il pu trouver mieux que ça.

Et pourtant, Jin n'eut aucun mal à distinguer sa silhouette. Elle détonnait, se détachait de tout le reste. C'était là, dans sa manière de se déplacer, dans son air soigné et l'impassibilité qu'il semblait constamment reflété. Le brouhaha semblait amplifié, hérissant comme un ongle sur un tableau noir. Raclement des sièges, cliquetis des verres qui s'entrechoquent ou se brisent. Mais il s'avançait dans ce bourbier comme quelqu'un qui ne craignait nullement de se faire emporter par Sombrerue et la folie qui l'agitait. Il en était familier et plus encore, en semblait nullement intimidé. Et s'il ne portait pas d'uniforme, la cicatrice qui barrait sa joue semblait luire comme un étendard. Hors la loi ou soldat? L'interrogation flottait dans l'air sans qu'il ne prenne la peine de la formuler à haute voix.

— Vous êtes en retard, la remarque franchit ses lèvres, légère, un rien moqueuse venant de celui qui manifestement ne possédait que ça, du temps à perdre. Qu'est ce que vous prendrez à boire?

Ces jours-là avaient été terriblement longs. Lorsque la culpabilité lui faisait perdre le cap des rivages de ses certitudes, à faire rompre son courage en risible incompétence. Il aurait presque baissé les bras à réaliser qu’il était si faible lorsque la vérité le frappait de son plus aiguisé tranchant. Lui qui haïssait tant les ombres qui tapissaient les recoins de sa chambre, les monstres qui rampaient sous le sommier de son lit; comment avait-il fait, à quel moment cela avait dérapé pour qu’il en devienne lui-même un ? à simplement songer à cette fenêtre qui avait éclairé le spectre de ses possibilités. Sous la colère —la haine viscérale il avait plié ses doigts contre cette gorge qui s’était faite si docile. il avait son destin entre ses mains, le fil vital maintenu par son simple désir. — mais il s’était retenu, dans un ultime soupir qui l’avait raisonné.

Mais cela avait suffit à le révulser à réaliser qu’une chose haïssable germait au fond de son esprit. Cet ersatz de lui, formé de familières effluves écarlates et dont la voix déformait les discours haineux de certains de l’armée : il avait commencé à s’emparer de son identité et peu à peu, ça le terrifiait lorsqu’il réalisait que ces idées-là semblaient le charmer. Tanjiro avait pourtant tout essayé. de toutes ses forces, mais le retour de flamme n’était que plus violent lorsqu’il réalisait qu’une partie de lui-même voulait céder à la haine et à la facilité. Il n’avait aucun refuge pour y abriter sa conscience bouleversée, aucun frère d’armes vers qui parler de ses doutes envers cette mère qui l’avait nourri pendant tant d’années. Car l’on savait son grade, car on le jugeait pour sa position et ce calme qu’il avait toujours su insuffler à ceux qui l’entouraient. —mais s’il savaient. que tout n’était que mascarade d’un gamin-adulte proie aux doutes caché sous le masque de l’indifférence.

Il inspire un bon coup, massa ses tempes avant d’ouvrir la porte en grand et de croiser le regard de nombreux habitués qui lui hochaient la tête silencieusement. Ses pas résonnent au contact avec le sol du bar tandis qu’il se dirigeait instinctivement vers la table du fond; guidé par l’intime conviction qu’il était celui avec qui il avait fixé la rencontre avec tant d’attention. Il était d’un cruel ennui, les traits terriblement banals et ennuyant. Un peu trop jeune à son goût pour qu’il puisse paraître à la hauteur des éloges qui lui avait fabulé son contact. Il n’y avait que son regard qui avait eu le don de le marquer, à inconsciemment s’y perdre avant de rapidement s’en détacher. Première rencontre et pourtant, il semblait digne d’un cruel paradoxe, lorsque ses paroles mettait en route les engrenages de sa douce insolence mais qu’il arborait cette expression pourtant trop ingénue.

— ah, en retard. mes excuses, je me chargerai de payer les consommations.

De manière incontrôlée, un rictus gagne ses traits, à s’imaginer qu’à son âge il aurait été peut-être un peu comme lui si la vie avait été un peu moins dure, s’il n’avait pas été à l’armée. s'autoriser à hurler ses pensées sans craindre d'être jugé.

— toujours confiant ? qui sait, le lyrium peut décourager, vous ne seriez pas le premier.

Le lyrium se déposait sur son esprit tel un voile opaque, allait-il le fuir?
Il savait que son client serait particulier, il ignorait à quel point.
Après tout, il ne s'était pas voué à la plus facile des tâches - panser les tourments de l'âme, d'un humain même, était déjà un projet des plus grotesque. Il lui serait nécessaire de s'investir et d'y verser un peu de lui, du temps, de la présence, sculpter son discours et ses réflexes sur ce qui serait bon pour l'autre. Ça demandait du temps, beaucoup de temps pour permettre à cette confiance de s'épanouir. C'était épuisant, il fallait avoir recours à tout ce qui était disponible, à l'intérieur, s'y verser énormément – trop, peut être. Et Jin ne s'y était jamais encore aventuré. Pas pleinement. Il y avait quelque chose d'intimidant dans ce genre d'investissement, dans cette relation où s'installerait une inévitable répétition. Le lyrium, au final, n'en était qu'une contrariété infiniment négligeable.

C'était une certitude qu'il lisait quelque part entre la rondeur lunaire de sa cicatrice et l'arc rosé de ses lèvres. Il hésitait encore sur son origine, si elle pouvait provenir d'une rixe entre malfrat ou être la marque d'honneur d'un champ de bataille; si elle était la conséquence de l'impassibilité d'un visage qui aurait gagné quelques années à se fleurir de la douceur d'un sourire. Alors il aurait très certainement dû lui signifier son refus, s'échapper par la porte qu'il venait d'ouvrir sans remord ni regret. C'était tout ce que sa raison lui soufflait, tout ce dont son instinct l'invectivait. Mais, lorsqu'il penchait la tête, ses doigts tapotant la surface du bar dans une cavalcade dont lui seul avait le secret, il ne pouvait s'empêcher de se le murmurer, ce peut être qui ne demandait qu'à s'exprimer. 

— Le lyrium n'est pas un problème si vous, vous ne vous y fermez pas.

Un sourire vint tirer le coin des lèvres du fae, orage malicieux et électrique qui vient crépiter à la surface de son regard. Il appartenait à l'homme de choisir jusqu'où il le laisserait entrer. Il n'y a que lui qui soit capable d'en décider, que lui qui ait le droit d'ainsi juger, son coeur, personne ne pouvait en contester l'autorité.

— La question est plutôt, est ce que vous avez une idée de ce que vous voulez vraiment?

Parce qu'au fond, tout au fond, l'homme n'est jamais plus qu'une créature primaire, pour certains, elle se tapissait dans l'or et le clinquant, dans le fouet, dans la soie, dans la lumière blafarde qui vous durcit les traits, qui vous tire le visage jusqu'aux extrémités. Jin en percevait toute la laideur dans l'addiction que les soldats s'infligeaient.. Dans le lyrium qui laissait leur âme cadavérique, pourrie par tous les souvenirs qu'ils ont vécu, par toutes les horreurs qu'ils auraient traversées, par toutes les créatures qu'ils auraient tués; nul en ce bas monde ne peut être innocent. Rien en revanche ne les empêche, pourquoi pas, d'être pardonné.

— Et si vous en avez conscience, savez vous ce que vous êtes prêt à concéder pour y parvenir?

Jin, il ne prétendait pas porter les intentions les plus louables. Car s'il y a bien une chose qu'il avait appris de ses voisins, c'est qu'en ce bas monde toute chose avait un prix et chaque service devenait source de bénéfice.

Il y avait ce quelque chose dans l’air qui l’incommodait, une vive sensation de supériorité qui émanait des yeux que jeune fae alors que ses doigts claquaient contre la surface de la table. Il la confiance insouciante, ce défi silencieux qui crépitait dans les braises de ses pupilles, ces “jesaistout, je t’ai devancé” ce genre d’insolence qui l’insupportait, celles avec lesquelles lui démangeait cette d’envie pécheresse de se jouer d’eux au risque de s’y brûler.

— je répondrai avec joie à toutes ces questions…. néanmoins d’où vient une telle confiance en soi pour parler ainsi? je dois dire que pour le moment j’en entends beaucoup et pourtant je ne vois qu’un garçon imprudent qui pense qu’en ayant vécu à sombrerue on aurait vu tout ce qu’il y avait à vivre.

normalement, tanjiro n’agissait pas ainsi, aussi risqué aussi prévisible; à s’approcher des flammes pour tenter de les dompter, à adopter ce faux sourire narquois pour disperser les incertitudes qui le hantaient (mais allait-il seulement pouvoir les cacher devant un magicien qui pouvait lire les pensées ?) . Parce que d’ordinaire il n’était pas aussi accessible, aussi apte à dessiner des émotions si fortes sur la toile de ses sentiments esseulés. Normalement, tanijro, il avait cette manière d’être qui lui était propre, ses mots poignards-gelés et sa violence-véhémence qui réchauffait la peau; ce contraste entre actions et maux qui lui garantissait cette sécurité d’être celui qui contrôlait le rythme de ses relations : cruel roi qui repoussait quand le risque de s’attacher devenait nocif, qui brisait les liens lorsque l’exutoire devenait chaînes qui l’alourdissait.

Mais cette fois-ci la curiosité le démangeait et ce, malgré la banalité du jeune faei; il n’était pas son genre, ni son type, encore moins l’homme qu’il amènerait dans son lit. Juste une étrange distraction qui se présentait, une attraction qu’il ne saurait décrire (il en avait déjà eu des flings, des envies subites de s’attirer les flammes de l’enfer mais aucunement quelque chose d’aussi inattendu) parce qu’il cherchait ses réponses à la naissance de ses traits, dans le rictus qu’il arborait pourquoi semblait-il si important lorsque tous ses sens lui prouvaient l’opposé ?

— alors je me dois de te demander petit magicien, serais-tu seulement en mesure de trouver ce qui trouble en ce moment même mon esprit ?

Il s'était rapidement fait charmé par les braises de son jeu risqué, mais fallait-il encore qu’il lui prouve que son instinct ne l’avait pas trompé.

Il était si certain de ses allégations.
Jin rit. Son hilarité résonne jusque dans les poitrines.
Il avait rejeté la tête en arrière, avec cet air si bien établi, quel curieux mélange d'incrédulité, d'amusement et d'indulgence, de légère moquerie. Ses sourcils s'étaient élevés, comme s'il n'espérait rien de plus que la conclusion d'un tel développement, comme s'il était suspendu à chacun de ses mots. Il ne le tournait pas en dérision, pas encore tout du moins. Il agitait sa main, l'air contrit, avec une petite moue ironique, juste ce qu'il fallait pour ne pas être ouvertement vexant. On les connaissait à force, tous ces préjugés, on les reconnaissait, ces airs affectés, ces moindres jugements du quotidien. Il en avait soupé à la longue Jin, des bancales hypothèses des humains.

— Vous semblez, en effet, en savoir beaucoup sur moi.  

C'en était presque naïf, cette manie qu'avait les hommes de pondérer leur expérience de vie à ceux qui en vivait plus du triple. A sincèrement penser que son expérience se limitait à Talevir. Et ça résonnait, dans l'esprit de Jin. Ca ricochait, ça dansait dans son esprit tout sourire. Ca brillait fort.

— Mais est-ce que vous me prenez pour un singe savant?

Jin était un garçon terriblement prévisible en théorie. Comme si l'allure folle de ses courses, ses airs de gamins de rues ne pouvait être rattaché à aucune vertu. Tout juste quelques bravades qui ne seraient jamais plus que ça au final, de simple bravade. Non, de tous les gens - et ils étaient nombreux - que Jin avait connu, il n'était pas le seul à avoir prétendu tout savoir de lui en une oeillade,  à avoir percé le mystère qui n'en était pas un. Il était, en revanche, le seul dont le raccourcis l'avait étonné.

— Ou pour un idiot peut être?

Il cherchait une réponse qui au fond n'avait aucune importance, le dévisageant un instant. "Lui". Lui, lui, lui. "Lui". Il y a quelque chose chez lui qui accroche, une confiance qu'il retrouvait chez ces personnes de haute naissance ou d'importance, par tout ce qu'il existe chez lui de fiable ou d'irréprochable. Une belle façade. Avec cette impression de déjà vu. Comme si ce sourire narquois qu'il percevait à peine était déjà trop familier. La même démence, la même essence. Un sursaut s'attarde dans sa poitrine quand il le réalise. Le parfum capiteux, pernicieux, qui sature l'atmosphère, ce savant mélange d'intérêt, de désappointement, ou d'espoir. Il n'était pas si différent. De tous ces hommes qui peinaient à quérir leur première bouffée d'air, les mêmes qui toujours courraient après des chimères.


— Je ne vais pas me donner en spectacle pour votre bon plaisir; ni jouer à "qui a le plus grosse" jusqu'à ce que ce bouge ferme. Si vous êtes assez désespéré pour passer par ce "gamin imprudent" c'est que vous ne pouvez pas faire autrement.  

Il avait soufflé ce quelques mots sur le ton de l'évidence en désignant le tabouret vide à ses côtés. On pourrait supposer que tout ça n'était qu'un trait d'arrogance venant de celui qui avait tout à prouver s'il désirait un jour se faire acheter. Sa vie n'aurait-elle pas dû se résumer à ça, après tout? S'échiner désespérément à plaire à ceux qui tenaient les rennes du pouvoir et rebâtissaient leurs terres à leur image. Mais il ne serait pas cet idiot là Jin, pas pour cet homme là en tout cas.

— Donc, vous savez ce que vous voulez?  

C'était un sincère éclat de rire qui s'était emparé de lui face à sa terrible franchise; ce genre d'émotions si pures et si peu malhonnêtes qu'elles en pourfendaient son voile de givre, à lui en faire oublier les conventions pour lesquelles il avait juré autrefois qu’il ne laisserait plus rien paraître. De son simple rire il avait fait volatiliser sa peur d'être jugé, la crainte qu’on réalise qu'il n'était qu'un colosse aux pieds d'argile, un adulte aux allures terrifiantes qui demeurait pourtant garçon aux certitudes inexistantes. Ça l'avait alors abasourdi ce manque de formalité qui prouvait simplement qu'il ignorait son identité ou même son statut. Qu'après tout, peut-être quelque part dans sombrerue il existait toujours des personnes incapable d’associer son nom à un faciès. Dans un recoin de sa conscience il avait déniché l’ombre d’un divertissement dans cette vulgaire rencontre orchestrée, d’un lui qui se pensait maître du jeu balayé avec aisance parce qu’il était un poil imprévisible, un peu trop culotté. Un fae d’une insolence qui lui aurait hérissé le poil dans d'autres circonstances, mais pas dans celles-ci surtout pas avec un tel minois qu’il lui offrait.

— certainement beaucoup, ou même trop. contrairement aux faes, nous manquons cruellement de temps.

Il (re)doutait la fin, et là était-ce qu’il avait toujours jalousé aux autres diablotins. Leur naïveté, leur paisibilité de l’âme lorsqu’ils réalisaient qu’il avaient toujours le temps alors que l’urgence pressait. Lorsque la vie d’un humain ne tenait qu’à un fil lorsque la leur était une corde épaisse de sûreté. Il en était envieux, au point de les mépriser de faire si mauvais usage du temps qui leur était escompté. Parce qu’avec les années et le poison qui s'infiltrait dans ses veines, ses démons renaissaient : jusqu’à quand allait-il préserver sa lucidité, quand est-ce qu’il devra faire en sorte de ne pas être manqué et de ne rien regretter ? L’ignorance le hantait bien plus que sa propre fatalité.

— mais ici s'arrêteront vos curiosités, tant que vous ne vous serez pas engagé. Quoi qu'en dise les apparences, je suis un homme de parole et votre paie en sera la preuve, mais qu'en est-il de vous ?

Sa main venait s’apposer contre sa propre joue fraîchement balafrée, ses ongles en taquinent alors la chair encore brûlante sans même le réaliser, trahissant avec certitude une certaine confusion dans l’ordre de ses pensées. [/color]

— si je suis une énième distraction sur la longue vie d'une fae cela ne me surprendrait guère, en l'occurence cela me conviendrait tant que vous tenez vos promesses.  

Jin se tenait face à un dilemme;
Comme il l'avait été la dernière fois, comme il l'a été une centaine de fois. C'est toujours la même histoire, mais celle ci ne se déroule jamais vraiment de la même manière. Qu'il soit aimable ou méprisant, charmant ou indifférent, beau ou repoussant, au fond c'est du pareil au même - il se jette à la gueule de ses clients sans jamais savoir s'ils finiront par lui servir, ses clients se servent de lui en craignant n'en retirer aucune garantit.

— Pour ça je vous rassure, vous n'êtes certainement pas assez drôle pour rentrer dans la case des distractions.  

Lorsque Jin penchait sa tête, on pouvait voir le pli qui creusait le coin de ses lèvres se plisser et accentuer son air toujours très - trop - juvénile. En y faisant assez attention, il était pourtant possible d'en déceler le séreux derrière le trop plein de malice. Il était là, comme disperser en quelques éclats qui venait en tacheté l'encre de son regard. Ça lui donnait une teinte bienveillante. Et de la bienveillance, peut être il y en avait-il réellement dans l'ombre de l'attention q'il accordait aux gestes de son client. Dans le fil des émotions qu'il percevait de plus en plus distinctement. Peut-être était-ce la bienveillance qui l'avait poussé à prendre cette soudaine résolution. A clore ses paupières et gorger ses poumons d'une forte inspiration. Et il lui semblait parfois qu'elle survenait comme ça, ces terribles décisions. En un battement de paupière qui de sa violence aurait dû être capable de changer la surface de la terre.

— Je pourrai m'engager à tord et à travers mais la magie, ma magie, vous échappe. Ce n'est pas le genre de contrat dans lequel je me lance à la légère parce que ce sera pénible pour vous comme pour moi.  

Mais en rouvrant les yeux, il n'y eut nul bouleversement ni grand renversement. Tout juste le ballet d'émotion qui émanait continuellement de son client. Il n'y avait pourtant rien qui puisse pousser Jin à se mouiller pour lui. Il était un peu beau, mais pas trop. Il avait un peu de ce charme que le pouvoir confère à ceux qui ont l'habitude de l'exercer, mais il n’irradiait pas de splendeur pour autant. Il n'y avait pas de séduction dans les œillades qu'il laissait s'échapper trop vite ; ses gestes étaient fermes, mais sans grâce. Il avait le tissu qui floutait les recoins agréables de son corps - masquaient. Ses yeux étaient noirs, mais en rien obscurs. Elles ne lui offraient pas cette aura cauchemardesque, entêtante qui aurait pu attiser l'attention et l'émotion. Mr.Balafre était un homme banal auquel Jin n'aurait pas dû s'intéresser autant.
Mais c'était là tout ce qui était important – il l'intéressait, à tord ou à raison, son instinct lui criait à la fois de fuir et de s'y accrocher. Comme si une part de lui se dotait qu'il y aurait beaucoup plus à en retirer.

— Ces "séances" n'apporte qu'un réconfort temporaire si vous contentez de les traiter en surface. Et ce n'est pas quelque chose que je peux me permettre de faire trop fréquemment. Si vous voulez des résultats sur le long terme il faudra travailler sur ce qui vous ronge en profondeur et ça se fera sur la répétition. Plus, le lyrium vous rend instable et vous en êtes particulièrement "imbibé".

Oui, il se lie disait, se le répétait - c'était une belle connerie et il aurait mieux fait de rester chez lui.

— Alors pour ce qui est de l'engagement M.Balafre je crains que vous n'ayez d'autre choix que de vous en remettre à moi pour cette fois.  

— instable ? instable, vraiment ? c’est dur à entendre, et certainement à me le faire un jour admettre. n’ai-je pas l’air bien plus normal que la majorité de la masse qui fréquente ce bar ? était-ce judiciable de croire qui j’étais simplement par l’apparence de mon visage et l’impureté de mon sang?

à entendre ces mots similaires à ceux de ses médecins, un agacement certain perçait alors le timbre de sa voix.

— mais certainement que ça ne m’affecte plus depuis longtemps.

mensonge flagrant. qu’il était aisé de le lire ! Dans le contraste de ses traits impassibles et de ses yeux fuyants les regards des tables voisines. qui aurait cru seulement il y avait une décennie qu’il deviendrait un homme si terne et abattu par la vie ? Tanjiro qui autrefois courrait dans les rues, bousculait les inconnus si cela lui permettait de gagner la course folle contre sa meilleure amie. Celui qui n’avait pas peur de ce que les autres pensaient; ou même s’en foutait royalement qu’il était un gosse qui n’avait pas sa place ici. Seulement le voilà aujourd’hui avachi par la défaite de la vie contre le dossier de sa chaise bancale, les bras croisés, barrant tout espoir de retrouver son pilier de sûreté.

— parce qu’on s’y fait à tout ça, au chagrin.

Quand l’avait-il égaré ? peut-être qu’il n’en avait jamais eu de havre de paix, parce qu’il était trop inconscient pour réaliser qu’une fois adulte il serait perdu avec tant de naïveté, si peu de bon sens pour savoir se tenir face aux égos trop pesant des grands de l’armée. Ou n’était-ce même pas le pire moment de sa vie. L’interdiction d’aimer, le coeur proie à la souffrance, abattu par une flèche empoisonnée : malheureux confondant amour et amitié pour un compagnon de garnison. Il s’en était maudit au point de le fuir, par honte, d’avoir rêvé de lui, espérer un peu plus d’eux.

— et si ce n’est que temporaire pour le moment, cela me suffit amplement.

à force de violence la flamme de l’espoir s’était éteinte faisant naître quelque chose d’autre en lui; une haine isolée dans un recoin de son esprit, une fureur naissante contre l’homme tout entier et tout ce qu’il avait bâti. Soudainement les sourires, les accolades suffisaient à lui en retourner les tripes : de voir toute cette hypocrisie de ces pions qui cherchaient à se maintenir en vie. Mais il avait refoulé constamment cette négativité qui s’était ancrée dans ses entrailles au point de fuir les interactions de peur de faire face à des déceptions. ça l’avait rendu solitaire, voilé son affection et sa chaleur humaine d’un manteau de neige éternelle.

Jin observait l'homme.
Il était une boule de nerf au bord de l'explosion.
Il l'observait et percevait  tout de l'orage d'émotions qui s'agitait sous son front, vibrant, embourbé dans tout ce que la culpabilité et le dégoût de soi éructent dans son regard quand il n'est pas affadi par ses banales présomptions. Il observait ses bras, ils observaient ses mains aux longs doigts tremblants d'une rage condensée et ravalé aux creux de ses poings serrés. Il observait Tanjiro, ce grand corps droit, cette peau trop pale, plein de son froid dans le givre incrustés de ses cernes sous ses yeux, tant de glace brisée dans chacun de ses mouvements saccadés, tant de neige qui emplirait son être et finirait par le noyer.

— Franchement ? Ouais, vous êtes instable et eux sont foutus. La différence entre eux et vous est que je ne m'emmerderai même pas à essayer  de les aider, et les Avhen seuls savent pourquoi je m'entête à le faire avec vous.  

Il dit, et sa phrase a la force de ses certitudes qu'il ne se prive jamais d'exposer. Le lyrium était une drogue luxueuse dont seuls les gens bien placés pouvaient se targuer de consommer, plus il en éprouvait la source, plus il était certain que son client avait quelque chose à voir avec les forces armés. Il était assez touché pour qu'il puisse percevoir les ravages de la fée rouge sur le socle de sa psyché, mais pas assez pour qu'il puisse dire que ses prises soient espacées. Il y était résistant à priori, mais à moitié seulement, son regard essoré et l'élan désespéré qui l'animait en étaient l'inévitable manifestation. A quoi bon nier sa condamnation, il vivrait esclave de son propre poison et mourrait en fou s'il en cessait les injections. Il le voyait bien à ses réactions mais ne cherchait pas à appuyé sur tout ce que son interlocuteur s'entêtait à nier. Il n'en avait pas le droit parce que ce n'était pas pour ça qu'il avait souhaiter l'entretenir, c'est lui après tout, qu'il lui avait confirmé qu'il ne souhaitait le voir que pour son second service.

— Si vous voulez recourir à la solution de facilité, il nous faudra nous déplacer. 

Tout ça, sa stabilité émotionnelle, sa vie ou son bien être, n'avaient rien à voir avec lui.
Il n'aurait qu'à maintenir le cadre de leur arrangement tout en s'assurant que son client mystère rentrait dans le cadre de ses allégations. Il n'avait pas grand chose à perdre après tout. Une ville de plus à fuir ou une autre où se réfugier, rien de plus que ce à quoi il avait été habitué.