sometimes i feel like you're the big sister (namira)

15 février 1073

Elle accueille l'arrêt de sa calèche avec un soupir de soulagement, heureuse que le voyage touche finalement à sa fin. Impatiente de retrouver celle qu'elle n'a pas revu depuis bien trop longtemps à son goût. Chacune occupée ici et là, les sœurs A'Athryn n'ont pu échanger que quelques lettres succinctes, avares de détails. Nesta rêve de serrer dans ses bras sa cadette, de lisser ses longs cheveux et de glisser son regard dans celui de Namira. Les pieds fermement ancrés dans le sol, ses yeux parcourent les lieux désolés, presque désert. Talevir. Elle chasse d'un battement de cils les souvenirs qui menacent de la submerger et s'empresse de payer l'homme qui l'a conduite à destination. Il ne perd pas de temps pour détaler, s'en va chercher une autre course, ou peut-être se perdre dans les bras d'une pauvre fille. Cette vie, Nesta la connaît par cœur. Elle frissonne au souvenir du bordel qui lui a tant volé. Il y a bien longtemps que la gamine des rues a disparu. Longtemps qu'elle n'a plus eu à arpenter les rues de Talevir, le ventre vide, les membres tremblant. Elle pourrait parcourir la ville les yeux fermés. Refuge tantôt bienveillant, tantôt dangereux. La famille A'Athryn y a séjourné plus d'une fois, restant plus longtemps dans ces rues et ruelles. Comme un véritable berceau, un nid construit et détruit un nombre incalculable de fois. Mais un foyer quand même. Pour eux et pour d'autres hybrides en quête d'un peu de liberté.

Ses pas la conduisent jusqu'à la Place des Sanglots, sinistre, triste mais paradoxalement animée. Quelques marchants, quelques clients à la recherche de bonnes affaires. Des touristes curieux. Son regard triste se pose sur le Temple du Soleil abandonné, désolé. Presque une ruine. Ça lui transperce le cœur. La sensation désagréable que, bientôt, tout Nythsari pourrait se retrouver dans le même état. Si le pouvoir persiste à détruire son peuple. Il y a longtemps, Nesta s'était révoltée, les mots se précipitant hors de sa bouche. Elle aurait pu en mourir. Au lieu de ça, le Collectif de Minuit l'a recueilli. Et sa vie à changé. Pour le meilleur et le pire. Un sourire amer agite ses lèvres.

Le temps semble s'être arrêté, comme suspendu par un trop pleins de violences, des émotions négatives qui ont pris la ville en étau. Elle se surprend à imaginer cette ville du temps de sa grandeur, à espérer le retour de jours meilleurs. Pauvre folle. C'est le visage rayonnant de sa jeune sœur qui l'empêche d'aller plus loin, lui fait oublier ses visions. Le sourire lui revient et Nesta s'empresse de prendre Namira dans ses bras. Geste maternel qui lui vient naturellement. Peu importe ce que l'on en dira. « C'est bon de te voir. » Murmure que seule la jeune fille peut entendre. Elle s'écarte sans pour autant lâcher prise, comme si Namira allait s'évaporer. Les yeux sombre et brillant de Nesta l'observent, satisfaits de la trouver toujours aussi belle et en bonne santé. « Tu as fais bon voyage ? » qu'elle s'empresse de demander, soucieuse de tout savoir, curieuse, aussi. « Je suis désolée de t'avoir demandé de venir jusqu'ici mais... » Elle jette un regard discret alentour, craignant d'être entendue. Sur le qui-vive, toujours, jamais sereine, toujours à la recherche du danger. Elle poursuis plus bas. « Je ne voulais pas risquer de quitter Nythsari par les temps qui courent. » Justification suffisante. Pour le moment.

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15 février 1073
C’est avec une moue de dégoût qu’elle observe la place qui l’entoure. Elle n’a jamais supporté Talevir et son environnement qui pue le désespoir. Sans doute parce qu’elle a eu le malheur d’y être né. Certes, elle ne peut pas s’en souvenir, ses géniteurs ayant repris la route aussi rapidement que possible alors qu’elle n’était encore qu’un bambin entortillé dans des langes aussi propres qu’il leur était possible de se procurer. Mais à chaque fois qu’elle aperçoit cette ville, un frisson de répulsion parcourt son dos, comme si quelque part son corps pouvait se rappeler que le premier des tourments avait commencé ici. Ou peut-être parce qu’elle a le malheur d’y revenir. Quelques mois seulement, alors qu’elle venait à peine de fuir sa famille. Il y avait la douleur d’avoir abandonné ceux dont elle était le proche, la faim qui lui creusait le ventre et surtout la peur. La peur terrible et hargneuse qui lui susurrait constamment des paroles emplies d’un doute empoisonnée.

La terreur de ne pas réussir à s’en sortir. De ne pas être destinée à faire mieux mais uniquement à rester dans cet entre-deux. A crever. Simplement parce qu’elle n’aurait pas été assez. Alors Talevir, c’est généralement un endroit qu’elle évite, ne s’y rendant que lorsque le devoir l’appelle et même dans ce cas, préférant des visites de courtes durées. Mais impossible cette fois de refuser, ou même d’écourter. Parce que c’est Nesta qui lui a demandé de venir. Et s’il y en a une pour qui elle sera prête à braver tous les inconforts c’est bien sa sœur. Elle lui doit tellement. Peut-être tout. Et même si une distance s’est installée avec le temps, avec les mensonges que raconte Namira à chaque fois qu’elle la voit, à chaque fois qu’elle joue le rôle qui est désormais le sien pour masquer son appartenance à Ad Astra.

Elle crève d’envie de lui dire la vérité, mais sait que Nesta ne comprendrait pas. Et elle ne veut pas voit partir la lueur chaude qu’elle aperçoit dans les yeux sombres de sa sœur lorsqu’elle la regarde. La tendresse qu’elle entend dans sa voix lorsqu’elle l’appelle. La brune ferme un instant les yeux. La mélancolie s’en va pour laisser place à l’un des masques qu’elle entretien avec soin. Un crève-cœur de faire cela à sa propre sœur. Elle passe tant de temps à mentir, qu’elle se demande si un jour quelqu’un sera capable de voir la vérité et de l’accepter. Sans doute que non, mais c’est le sacrifice qu’elle a dû effectuer. Donner tout ce qu’il lui restait pour espérer encore un peu. Un échange qu’elle referait si besoin était.

Son regard traîne et rencontre des yeux familiers. Le sourire qui s’affiche sur les ses lèvres est le premier à être sincère depuis un long moment. La femme redevient enfin et se love dans les bras de l’autre se faisant plus frêle et petite qu’elle ne l’est, comme pour se fondre dans l’étreinte protectrice. « Toi aussi. » Et la grande sœur revient au galop, la seule à la couvrir de demandes inquiètes et de tendres mots. « Aussi bon que cela soit possible lorsqu’il s’agit de venir dans cet horrible endroit. » Le dégoût de nouveau avant qu’elle ne se reprenne. « Je comprends ne t’inquiète pas, et j’ai l’avantage de pouvoir voyager ou bon me semble sans être inquiétée. » Le statut de Marieuse à ses avantages et c’est bien l’un d’entre eux. « La seule question que je me pose … c’est la raison pour laquelle tu m’a fait venir ici. » Elle n’a eu que peu d’informations, Namira. Mais le peu qu’elle a reçu a suffi à l’inquiéter. « Ça avait l’air …. Important. »

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15 février 1073

Le désagrément qui anime sa cadette ne lui échappe pas et Nesta s'en veut presque de lui infliger une énième blessure à l'âme. Pourtant, elle reconnaît aussi une grande force chez Namira. Un feu nouveau l'anime et son aînée ne peut que porter un regard fier sur elle. Talevir a laisse des marques indélébiles dans leurs esprits et sur leurs peaux. Des traces que le temps ne parvient pas à effacer. Se retrouver ensemble ici ravivent ces vielles blessures, les ramènent vers ce passé qu'elles tentent, l'une comme l'autre, d'oublier. Impossible. Talevir fait partie intégrante d'elles. Quoiqu'elles puissent en penser, peu importe les sensations et les mauvais pressentiments. Elle esquisse un sourire maladroit, une petite grimace désolée. Namira ne voit peut-être pas le potentiel de la ville. Nesta, elle, espère contre tout espoir rendre sa splendeur aux lieux. Éternelle utopiste. Femme et gamine à la fois. Loin, trop loin des réalités, de la brutalité de la vie. Il est peu probable que Talevir soit à nouveau illuminé. Peu probable que l'espoir renaisse ici, que les ombres cèdent face à la lumière. Mais elle espère Nesta. C'est tout ce qu'il lui reste.

Elle s'abstient de tout commentaire, consciente que rien ne pourrait aider Namira à s'adoucir quant au lieu choisi. Elle aurait pu trouver mieux. Sans doute. L'endroit n'est pas parfait, loin d'être idéal. Elle espère créer de nouveaux souvenirs, apaiser l'esprit tourmenté de sa sœur, lui apporter un peu de réconfort. Nesta, elle, n'en trouvera sans doute aucun. Les mensonges se succèdent, toile dangereuse dans laquelle elle se perd. Nesta perd le contrôle de la situation sans vraiment en avoir conscience, préférant rester aveugle. Comme si tout allait se résoudre d'un claquement de doigts. Elle aurait dû changer les choses avant. Bien avant. Elle aurait dû contacter Matthew, lui dire qu'elle arrêtait, qu'il fallait la sortir de là. Mais Nesta s'est entêtée. Et personne n'avait rien fait. Ses informations trop utiles, sa position trop importante pour être perdue. Le Collectif passait avant tout. Un sourire vient chasser ses angoisses et elle lève la main au niveau de sa poitrine laissant voir à sa sœur son doigt nouvellement habillé d'une bague en lyrium. « Je ne pouvais pas vraiment en parler dans une simple lettre. » Trop impersonnel. Il fallait qu'elle puisse lire le visage de sa sœur. Elle se devait, aussi et surtout, de préserver les apparences. Feindre son bonheur, prétendre être la plus heureuse des femmes quand tout son être voulait hurler de terreur. Le piège se referme et son cœur menace d'exploser dans sa poitrine. « Il m'a fais sa demande il y a une quinzaine de jours. » Elle avait été aussi surprise que Namira, sans doute plus. Et, sur le moment, elle n'avait pas su quoi répondre. Rien d'autre qu'un faible oui, un murmure qui avait scellé son destin. Encore aujourd'hui une part d'elle regrettait. « J'ai pensé que ça méritait un verre. »

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15 février 1073
Il y a sa posture. Trop droite. Trop ferme. Elle refuse de plier devant Talevir et les souvenirs que la ville évoque. Refuse de constater ne serait-ce qu’une once de lumière dans l’endroit désolé. Elle ne revient à Talevir que lorsque cela est absolument nécessaire et même la, c’est toujours avec la rage au cœur. Elle ne comprend pas sa sœur parfois, et son envie de trouver du bon même là où il n’y en pas. Pour Namira, Nesta s’accroche de toutes ses forces au passé tout en rêvant de changement. Mais le changement ne peut se faire qu’à partir d’un renouveau, d’un élan. Pour construire il faut d’abord accepter de démolir pour rebâtir des fondations plus fortes. Au lieu. Au lieu sa sœur aînée s’acharne à tenter de sauver ce qui est déjà détruit. Louable certes, mais inutile du point de vue de la brune. Il faut savoir admettre l’échec et couper ses pertes. Et Talevir ? Talevir est sans doute le plus grand des échecs en ce qui la concerne.

Ses narines sont légèrement plissées mais elle choisit de ne pas commenter. Les deux sœurs ont déjà eu cette conversation de nombreuses fois sans parvenir à établir un statu quo. Plus les années passent et plus leurs opinions divergent. Elle peut presque sentir un fossé se créer entre elles, Namira, déchirure immonde prêtes à les engloutir et à les séparer à jamais. Et elle crèverait d’envie de lui dire. De faire preuve d’honnêteté. Mais elle sait, avec une certitude absolue, que Nesta n’aura jamais les yeux tournés vers Ad Astra. Le feu brûlerait trop fort pour elle, elle n’y verrait que danger et horreur là ou Namira y voit futur et réconfort. Alors elle se trouve obligée de mentir. Obligée de prétendre encore et encore tout en sachant que les conséquences résident dans la mer d’incompréhension qui s’étend entre elle et sa sœur. Elle aimerait tant pouvoir faire autrement.

Il y a un soupçon d’inquiétude qui étreints sa poitrine lorsque Nesta parle de quelque chose dont elle ne pouvait pas parler au sein d’une lettre. La peur se ravive. Sa sœur est-elle en danger ? Si oui, peu importe qu’elles se soient éloignées, elle mettra le monde à feu et à sang jusqu’à tout voir brûler. La loyauté envers les siens n’est pas un idéal qu’elle prend à la légère mais un commandement avec lequel elle vit. Pourtant quand elle voit la bague, c’est une gifle en plein visage. Ses traits s’affaissent immédiatement avant de devenir aussi froids que le fer. La réaction ne peut pas être masquée et c’est la furie qui prend le dessus. «  Et à quel moment ton esprit a-t-il déraillé pour que tu acceptes cette demande ? ». Elle a toujours trouvé la relation de sa sœur avec cet homme de l’armée absolument stupide. Une liaison sans lendemain elle aurait pu comprendre, une courte histoire également. Mais les deux ans de prétendue félicitée elle n’a jamais pu les accepter. Et ça ? Encore moins.

Sa main se serre autour de son verre et vient l’abattre sur la table en bruit sec, tremblement du verre qui semble à l’agonie. « Comment peux-tu penser qu’il s’agit d’une bonne idée ? A moins que tu ne lui aies déjà donné ta véritable nature et qu’il t’accepte à bras ouverts ? ». Si sa sœur aime réellement l’humain il n’y a pas d’espoir. C’est une affection qui ne peut que se terminer en tragédie grecque. En larmes et en hurlements Pas de futur. Pas d’avenir. «Tu penses parvenir à maintenir le mensonge toute ta vie ? Que feras-tu s’il apprend la vérité ? »

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15 février 1073

Ce serait mensonges que de dire qu'elle n'avait pas imaginé les éventuelles réactions de sa cadette. Rien n'avait plus d'importance aux yeux de Nesta que sa famille et l'avis de sa sœur comptait plus que tout. Elle s'était imaginé des réactions aussi diverses et variées que la surprise, la joie, la tristesse, l'angoisse. La colère c'est à peine si elle avait osé y songer Nesta. Enroulée dans son déni, rejetant cette pensée meurtrissante au fond de son crâne. Les mots claquent, fouettent l'air et viennent s'écraser douloureusement contre les oreilles de Nesta. A quoi s'était-elle réellement attendu ? Si les mots la blessent, ouvrent une vielle plaie béante, ils n'en restent pas moins vrais. Elle aurait dû s'enfuir aussitôt la demande acceptée. Retrouver Matthew, lui demander de tout arrêter, de l'envoyer loin, de la protéger. Mais quelque chose au fond d'elle l'en avait empêcher. Son cœur battant violemment dans sa poitrine, son âme emprisonnée. L'amour pour un homme qui n'avait rien de plus à lui offrir. Le besoin de poursuivre une mission qui ne pouvait se solder que par la mort. Autant de raisons stupides et irréfléchies.

Elle reste silencieuse, soutenant le regard de sa cadette, sursautant à peine quand le verre vient s'écraser bruyamment sur la table, quelques regards se tournant vers elles. Des réponses, Nesta en a des tas. Mais aucune ne peut franchir la barrière de ses lèvres et les mots meurent sur sa langue. Chacune de ses actions, aussi stupides soient-elles, sont régies par une seule chose : le Collectif de Minuit. C'est pour eux qu'elle se retrouve dans cette situation délicate. Pour un idéal auquel elle croit fermement. Elle a accepté de s'enfermer à Azracca, de se perdre dans une relation vouée à l'échec. Tout pour que le Collectif triomphe. Et sa sœur ne doit jamais savoir. « Je ne sais pas Namira ! » qu'elle s'emporte finalement, fatiguée par le sermon qui ne fait que commencer. Elle soupire bruyamment avant de se passer une main dans les cheveux, ramenant derrière ses oreilles quelques mèches gênantes. « N'as-tu jamais aimé quelqu'un au point de mentir ? » Et même dans ces quelques mots il y a du mensonge. Nesta n'y tient pu et détourne le regard quelques secondes, s'attardant vaguement sur les tables voisines. Ses paupières se ferment quelques secondes, à la recherche de réponses dans le calme relatif de ses pensées. Quand elle rouvre les yeux, elle darde ses pupilles foncés dans ceux de sa sœur qui ne décolère pas. Sa voix est plus douce, murmure las. « Je sais que j'aurais dû fuir. Encore... » Les mots sont lourds, rappel douloureux d'une vie passée sur les routes, sur le qui-vive, dans une fuite incessante. « Je n'ai plus la force de courir Nami. » Faiblesse finalement avouée. Elle sait pourtant qu'un jour viendra où elle devra tout quitter et reprendre sa course effrénée. Elle ne peut qu'espérer ne pas être seule lorsque ce jour viendra.

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15 février 1073
Elle est paniquée, Namira. Et avec la panique vient pour elle la rage. Elle ne comprend pas la décision de sa sœur. Comment être plus irréfléchie ? Bien qu’elle n’ait que rarement été d’accord avec leurs parents – qu’il s’agisse de leurs méthodes pour s’assurer la coopération de leurs enfants ou de la terreur quasi-constante dans laquelle ils ont passés leur vie – elle a toujours pu s’accorder avec eux sur un point. La nécessité de garder le secret de leur nature d’hybride. Elle a vu le versant le plus laid du monde, Namira et la haine sans raison vouée à ceux qui lui ressemblent. Alors elle sait que s’il y a une chose que ses lèvres ne doivent jamais révéler au grand jour c’est sa nature d’hybride. La seule exception étant bien sûr, Ad Astra qui accepte les hybrides sans leur montrer ne serait-ce qu’une once de rejet.

La tolérance est rare et précieuse dans le monde dans lequel les deux sœurs vivent. Et elle sait, Namira, elle sait qu’elle n’existe pas chez le fiancé de Nesta. Il a fait ses choix il y a longtemps, révère une organisation qui verrait les deux sœurs mortes ou utilisées pour d’horribles expérimentations. Et elle doute que, même par amour, il change d’avis sur ses convictions les plus profondes, venant alors pardonner un mensonge vieux de deux ans pour protéger sa dulcinée. Elle fait très peu confiance, la brune et c’est ainsi qu’elle survit. De toute évidence cependant, sa sœur n’a pas reçu le même mémo. Au lieu de se dire que leur histoire d’amour ne peut que connaitre un destin tragique, elle se jette dans les bras de l’homme et orne son doigt d’une bague de fiançailles. Sa gorge se serre et elle doit retenir un hurlement. Elle a toujours vu l’idéalisme de sa sœur comme une faiblesse. Persuadé qu’un jour cela la mènerait à sa perte. Visiblement elle a eu raison.

Elle serre les poings jusqu’à sentir ses ongles s’incruster dans sa chair. Bien sûr qu’elle connait la douleur de devoir mentir à une personne qu’elle aime. Elle fait cela tous les jours. A sa propre sœur. Mais elle sait survivre, Namira. Sait se protéger quand bien même elle ne saurait rien d’autre. De toute évidence on ne peut pas en dire autant de sa sœur. « Tu pouvais l’aimer et tu pouvais mentir. Ce que tu ne pouvais pas, ne devais pas faire, c’était t’engager sur une voie que tu ne pourras pas quitter. » Sa voix monte, s’élève dans les airs pour presque terminer en un cri. « Je sais de quoi je parle, crois-moi. J’ai vu suffisamment de bagues mises au doigt pour les voir par la suite se transformer en chaîne. Une fois mariée, s’il apprend la vérité, fuir ne suffira pas ! Tu comprends ça ? » Il faudra disparaitre, changer d’identité, devenir ombre. Il faudra tuer Nesta et Namira ça la fera crever.

Le murmure qui sort de la bouche de sa sœur est presque tendre mais elle refuse de se laisser avoir. Refuse de plier. « Pas besoin de fuir. Tu pouvais juste dire non. Il serait parti avec son orgueil blessé et toi tu aurais avancé avec ta vie. » Un peu de culpabilité et quelques regrets. Mais rien qui ne la mette en danger. C’était si simple. Trop simple, visiblement. « Tu ne comprends pas que c’est ce que tu viens de faire qui te forceras à prendre la fuite un jour ? Ou même si ce n’est pas le cas, tu devras toujours regarder derrière toi, surveiller tes paroles, mentir quotidiennement. » C’est ce qu’elle fait dans le cadre de son travail, tous les jours, Namira. C’est bien pour cela qu’elle ne le lui souhaite pas. « Tu ne peux pas te marier avec lui. » La voix s’écrase et elle enfonce le clou. « Tu as pensé à nous ? A ce qui nous arrivera ? »

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15 février 1073

Elle n'est que mensonges Nesta. Prise à son prope piège. Victime malheureuse d'un jeu de pouvoir qui la dépasse. Proie facile pour les chasseurs assoifés de chair et de sang. L'espoir ridicule qui transpire de son être, l'envie de croire en quelque chose. Rien qu'un pantin, une vulgaire marionnette entre leurs mains. Elle en vient à douter de tout. Même de ceux qui l'ont aidé, lui ont offert un refuge, une famille. Même de lui. Coup de poignard enfoncé loin dans son cœur. Se peut-il qu'il se soit joué d'elle aussi ? Tout ce temps à boire ses paroles, croire en une cause supérieure, nécessaire. Un mieux à venir. Et si tout ça n'avait finalement aucun sens ? Et si elle s'était jetée corps et âme dans la cage aux lions ? De son plein gré. Sans un regard en arrière.

Elle ne saurait pas dire quand tout à déraper. Comme si la situation avait changé trop vite pour qu'elle puisse s'en rendre compte. Doux mensonge dont elle berce son âme. La vérité c'est qu'elle a plongé tête la première, remontant à peine à la surface pour respirer. Quelques bouffées d'air volées, moments éparpillés qui lui brisent le cœur. Et tout à coup elle a besoin de respirer, de remonter à la surface, loin de toute cette folie, de ces mensonges qui lui brûlent la gorge. Besoin de ses murmures et de ses caresses. Qu'importe les mensonges. Qu'importe qu'il ne la retienne pas une fois l'aube arrivée. Elle n'a besoin que d'un instant pour se sentir à nouveau vivante. Rien qu'un moment volé pour mieux se relever. Pauvre folle.

Elle disparaît Nesta. Engloutie par le flot de ses pensées, la respiration saccadée, le front luisant d'une fine couche de transpiration. Elle étouffe. Et elle comprends. Mieux que Namira peut-être. Elle sait. L'erreur lui brûle les veines, détruit cette partie de son cœur qu'elle aimerait conserver pour elle. Elle constate avec horreur combien sa benjamine a raison. Petite sœur dont les mots résonnent en boucle dans sa tête. Lorsqu'elle pose ses yeux sur Namira, elle ne voit plus la gamine maigre qu'elle protégeait contre vents et marées. Disparue la fillette aux grands yeux qui la suivait comme une ombre. Elle a grandi Namira. Nesta s'en rend enfin compte. Femme faite, forgée par la brutalité de leur monde. Femme de caractère qui surpasse l'aînée. Nesta se sent minuscule, ridicule. Gamine aux rêves qui se fracassent contre les falaises. « Je comprends. Je sais. » murmure peu sûr. Pas franchement certaine de sa voix. Gamine prise en faute. Le savoir ne fait pas tout. Elle devrait agir. Choisir. Décider laquelle des deux parties de son cœur doit continuer de battre. Choix impossible qu'elle refuse de faire. Trop angoissée à l'idée de tout perdre. Comme si tout ceci n'était qu'une chimère. Doux rêve à l'amertume persistante. Et si elle faisait, encore, le mauvais choix ? Et si il n'y avait rien ? Que deviendrait-elle seule sur les routes, le cœur brisé, l'âme en peine, enroulée dans les mensonges et les regrets ?

« Fuir ne suffira plus. » Constat douloureux qui lui coupe le souffle. Elle met enfin des mots sur cette réalité qu'elle s'est entêtée à dissimuler. Il faudra oublier Nesta. Définitivement. Tirer un trait sur ce qu'elle est. Abandonner ceux qu'elle a connu. Tous. Sans exception. Même lui. Surtout lui. Le danger ne l'entourait plus. Elle était finalement devenue le danger. « Je suis terriblement égoïste, je sais. » Constat déroutant. C'est à peine si elle se reconnaît dans ces mots qu'elle prononce lentement. « Je ne peux plus reculer Namira. » Elle use de son prénom comme d'une prière, cherchant un peu de force, un courage qui lui manque. Prise au piège, elle ne peut plus aller que de l'avant. Toujours. « Tu dois me faire confiance. Je sais ce que je fais. » Pauvre folle. Elle n'a aucune idée d'où ses actions la mèneront. Sur une pente glissante, Nesta est à peine consciente de contempler la mort. Le gouffre béant grandit sous ses yeux, menace constante qui pourrait l'engloutir à tout moment. Mais elle refuse de se réveiller. « C'est à vous que je pense. Toujours. » Sa main trouve celle de sa sœur, la serre jusqu'à en faire nlanchir ses extrémités, besoin irrationnel de s'accrocher à son passé. « Je ne laisserai jamais rien vous arrivez. » Promesse dont elle ne doute pas, inccapable d'imaginer le pire. « Tu le sais ça ? » La question lui déchire les entrailles, lui donne la nausée.

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15 février 1073
Elle est au-delà de la colère, Namira. Ce qui l’étreint désormais est la furie. Elle pouvait faire semblant de tolérer l’homme lorsqu’elle le voyait en amant de passage. Un homme d’un seul temps, qui finirait par s’évaporer, par disparaitre, un jouet en attente d’être jeté. C’est ainsi qu’elle l’a toujours vu. Une possession dont sa sœur se serait entichée mais qu’elle finirait par mettre de côté une fois la réalisation arrivée. Une hybride ne peut pas, en son âme et conscience, se permettre de tomber amoureuse d’un humain. Pas quand celui-ci fait partie de l’armée rouge. Pas alors qu’elle risque d’en crever au moindre pas de travers. Cela va bien plus loin que de la simple stupidité. D’aucun pourrait l’appeler un suicide. Et elle n’arrive pas à comprendre, Namira. Que l’amour puisse venir effacer toute logique, toute compréhension basique.

La brune se demande si sa sœur pense réellement pouvoir s’en sortir. Continuer à mentir jour après jour à celui qui partagera non seulement sa vie mais également sa maison. Un espace confiné qui restreint les possibilités de mensonges, de secrets, de cachettes. Qui plus est, et malgré le mal que cela lui fait, elle sait, Namira, qu’il est loin d’être stupide. Il suffira d’une fois, d’une erreur, d’un faux-pas et il ramassera les indices pour les assembler, mettant en place un funeste tableau. Peut-être que si elle avait déjà aimé, Namira saurait se montrer plus douce. Compréhensive. Mais la brune s’est toujours refusé à céder, s’attachant à des êtres inaccessibles, se condamnant ainsi  à la souffrance et refusant les doux et les tendres. Ceux et celles qu’elle aurait pu aimer, préférant au mensonge la saveur douce-amère de la solitude. Elle est consciente que le sacrifice est immense, et elle ne demande pas le même de sa sœur. Mais elle aurait pu choisir n’importe qui … n’importe qui. Alors pourquoi lui ?

« Je ne crois pas que tu comprenne. » La voix est sèche, féroce. « Je crois que tu espères. Que tu veux te convaincre que tout ira bien, qu’il devinera jamais et que tu auras tout ce que tu souhaits. » Elle secoue la tête. « Et c’est tout ce que je souhaite pour toi. » Sa sœur elle l’aime, elle l’aime à en crever. Sur un geste, sur une parole de sa parole, elle déclencherait des feux guerriers. « Mais si ce n’est pas le cas … tu perdras tout. Nous perdrons tout. Tu n’es pas seule dans cette histoire. » Ils portent le même nom avec fierté depuis des années, leur seul lien face à un monde détesté. Un lien qui devient aujourd’hui une chaîne. « Ce n’est pas seulement de l’égoïsme. Cela va au-delà. Il faudrait retourner à la vie que l’on a tout fait pour quitter. » Qu’elle a tout fait pour quitter. « L’errance et la fuite. Et c’est dans le meilleur des cas … sinon quoi ? La torture ? La mort ? C’est ça que tu veux ? »

Elle devient si froide, Namira. C’est triste de faire ça. Triste d’en arriver là avec sa propre sœur. « C’est peut-être ça le problème. En cet instant je n’ai pas confiance en toi. » La phrase est cruelle, prononcée sur un ton d’acier. Mais en cet instant elle n’en est pas moins vraie. Une main qui vient tenter de prendre la sienne et qu’elle repousse violemment. « Tu penserais à nous en nous protégeant en nous sauvegardant, pas en nous mettant en danger pour … une amourette ? » Moue de dégoût sur les lèvres comme le glas final. « Je n’en sais rien. Je ne te reconnais pas. La Nesta que je connaissais faisait passer les siens avant le reste. Avant un homme. » Une pause. « Celle que j’ai devant moi ? Qui sait ce qu’elle laissera arriver demain. »

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15 février 1073

L'étau se resserre inexorablement. Comme deux mains serrées autour de son cou, l'empêchant de respirer, la guidant lentement vers la mort. Des mains qu'elle a apprivoisé, appris à aimer. C'est elle seule qui se condamne. Ses actions mal calculées, ses sentiments mal placés. D'erreurs en erreurs. Pour la conduire au bout du tunnel, la sortir de ses mensonges. Elle ne sait plus quoi faire Nesta ni à qui se fier. Elle voudrait que tout s'arrête, être enfin libre. Elle voudrait effacer la douleur, oublier. Etre quelqu'un d'autre. Elle compte peut-être trop sur les autres. Pas assez indépendante. Femme enfant qui passe son temps à mentir même face au miroir. Elle en oublie de respirer, chaque bouffé d'oxygène douloureuse, lui arrachant une grimace. Elle ne regarde plus Namira, incapable de soutenir le regard accusateur de sa jeune sœur, d'affronter la déception et la colère. Les seuls mots acerbes suffisent à lui asséner des blessures. Un combat plus blessant qu'aucun autre. Un duel dont elle ne sortira pas indemne. Elle a déjà perdu Nesta.

« Non. » rien qu'un murmure qui trahit sa faiblesse. Elle ne sait plus qui haïr. Elle-même ? Ses mensonges ? Le Collectif ? Matthew ? Eron ? Sa propre sœur ? Elle en a la nausée. « Je ne sais pas. Je ne sais plus ce que je veux ! » Elle ferme les yeux, priant pour se réveiller dans son lit. Priant pour que ce cauchemar s'arrête, pour enfin trouver la paix. Impossible de calmer les battements irréguliers de son cœur, sa respiration saccadée. L'envie de tout envoyer valser, de hurler. Elle n'est pas forte Nesta. Sous ses grands airs, son envie de réussir, elle n'a rien de fort. Aussi fragile qu'un roseau, elle plie sous le poids des mensonges, cette culpabilité qui la ronge. Quand elle pose à nouveau les yeux sur sa sœur, elle ouvre la bouche, prête à tout lui révéler. Prête à laisser la vérité glisser hors de son corps. Besoin irrépressible de se libérer. De prouver quelque chose. Namira a le droit de savoir. Namira mérite de connaître ses raisons. Mais tout cela la mettrait d'avantage en danger. Le secret est de rigueur. Première règle que Satyavati lui avait apprise. Ne jamais rien révéler. Prendre sur soi, se mordre la langue. Et c'est ce qu'elle fait Nesta. Jusqu'à sentir le goût du sang envahir sa bouche.

Ça a le goût amer d'années à s'éloigner. A devenir des étrangères.Il y a entre elle un voile impossible à traverser, un fossé qui s'agrandit de jour en jour. Nesta le voit maintenant. Elle le sent dans la froideur que dégage sa cadette, dans cette main qui repousse la sienne. Violence inouïe pour deux êtres qui trouvaient, autrefois, du réconfort dans le toucher. Les mots finissent de l'achever et Nesta s'affaisse, vaincue. Elle baisse les armes, finalement trop fatiguée pour se battre. Et une énième partie d'elle meurt en cet instant. Les liens fraternels sont brisés. Peut-être pour toujours. Elle sait Nesta. Comprends. Le prix à payer. Elle le paiera avec plaisir si elle peut encore garder Namira saine et sauve. Loin d'elle et du chaos qui la suit. « Il n'arrivera rien Namira, tu m'entends ? Rien. » Elle y croit, la voix plus forte. Déterminée. Pauvre folle. Elle a besoin d'y croire. Elle peut encore tout arranger, se retourner, trouver une issue. Il suffit de faire un choix. Le seul qui s'offre encore à elle. Et tant pis si elle doit en payer le prix. Peu importe tant que les siens sont en sécurité. « Je ferais ce qu'il faut. » Même si elle doit en crever. « Je n'ai jamais abandonné Namira. Jamais. » Elle est restée, toujours. Première née, dernière partie. Peu importe qu'elle comprenne ou non. Peu importe que Namira s'éloigne, lui tourne le dos. Elle n'abandonnera pas. Elle fera ce qu'il faut pour assurer à sa famille une protection méritée. Elle est prête. Prête à en payer le prix.

Faiblesses balayées d'un battement de cils, elle est plus déterminée que jamais. Si sûre de ses choix. Persuadée d'avoir raison, d'être sur le bon chemin. « Fais ce que tu as à faire. Tu ne me dois plus rien Nami. » Radoucie, grande sœur aimante qui pardonne. Elle a la voix qui tremble. Finalement pas si sûre. « Je crois que nous nous sommes perdues il y a longtemps toi et moi. La route sera encore longue mais je sais que je te retrouverai. » Certitude qui lui permet d'avancer, de faire les choix qui s'imposent. « Un jour tout sera clair Nami. » Plus de secrets, plus de mensonges. Un jour elles seront réunies sous la même bannière. Un jour. Elles pourront alors redevenir Namira et Nesta. Simplement. « Je te le promet. »

CODAGE PAR AMATIS
AVATARS PAR ETANGS NOIRS & AMOR FATI