où dorment les étoiles ✧ TAJIN

il allait probablement mieux. c’était une hypothèse, une certitude, un doute murmuré. Que les belles paroles et les promesses du fae étaient un peu plus efficaces que le vent et les fatalités qui lui prononçait ses propres néfastes pensées. Un temps soit peu, il y croyait presque; qu’au travers des reflets yeux du plus jeune il semblait s’être logé un peu d’espoir. un peu de douceur et de chaleur qu’il partageait avec son ignoble carcasse à moitiée rongée par le venin de la culpabilité. Un temps soit peu, Jin (ô jin dont il avait il y a peu découvert le nom si plaisait à prononcer) était devenu source certaine d'intérêt; de passe-temps, de prétextes, de curiosités à chaque nouvelle fois qu’ils se retrouvaient.

Il avait cependant une saveur artificielle. Lui aux sourires qui se trouvaient toujours à la lisière de la sincérité, comme ses traits, minutieusement cousu par quelques fils dorés pour se confondre dans le décor dans lequel il se maintenait. Il était son némésis, sa perdition certaine mais il ne pouvait s’empêcher de graviter autour de lui. Son visage s'enlaidissait; mais ses yeux charbons qui le captivait demeuraient. Quoi qu’il pouvait modifier, de ses cheveux à sa taille, il restait ce même mioche qui l’irritait autant qu’il avait perturbé. à en troubler l’océan de son indifférence à en chambouler ses certitudes : depuis quand seulement avait-il éprouvé de l'intérêt pour quelque chose d’extérieur à l’armée ? Pourquoi lui alors qu’il était si différent des autres ? Il était trop doux, trop lumineux pour ne serait-ce que prétendre au rôle d’un éventuel amant. Alors pourquoi tant d'intérêt ? De la pitié ? de voir en lui un reflet de son prétendu passé ? un enviable destin qu’il aurait préféré à la fatalité de ses choix qui l’avaient mené dans la misère émotionnelle dans laquelle il s’était égarée ? peut-être bien que oui. Qu’en le voyant il pouvait prétendre être heureux. que même si son pouvoir l’apaisait seulement le temps d’une heure ou deux, le voir, lui faisait oublier à quel point il était seul et malheureux.

— tu peux rester ici cette nuit si tu veux

c’était à chaque fois les mêmes erreurs qu’il choisissait de murmurer, lorsque tanjiro tissait des liens sans en mesurer l’ampleur; ermite sans morale maudit d’une dépendance à l’affection. Il s’y était jeté sans oser brandir les ciseaux sentimentaux, sans calculer les risques de prononcer de tels mots.

— j’insiste.

Il y avait eu un silence affreux.
Un vacarme silencieux. Aucune brise d'air pour souffler dans ses oreilles, aucun oiseaux pour chanter dans un écho, aucun battement de coeur étranger. Rien d'autre que le silence d'un lieu un peu trop loin du reste. Même s'il y avait quelque chose de terrible pour quelqu'un qui détestait la solitude, ces silences avaient des airs de mal nécessaire. D'angoissant, d'étouffant. De différent. Mais inévitable à l'organisation de ses propres sentiments.

Il se sentait nauséeux, le coeur au bord des lèvres. La joue posée contre le cuir du canapé, son regard suivait les allés et venus de Tanjiro avec des airs d'engloutis, un noir opaque venant de l'intérieur, bourdonnement de sentiments dissonants, qui se reflète dans ses yeux miroir. Jin gratta sa clavicule, du bout des ongles. Il se sentait faner, ainsi soumis au mal être du capitaine, comme un enfant trop rêveur que l'on tirerait par les pieds pour le forcer à retomber sur terre. Il ne parlait jamais, ne l'assommait pas d'incessantes interrogations qui l'aurait contraint à s'exposer. Jin, il se contentait d'absorber son mal, de contempler son bien être de parade dont il se drapait presque fièrement, soulagement éphémère qui inévitable s'effacerait lorsque le fae s'en irait. Mais maintenant, alors que son coeur battait à tout rompre, comme écrasé par l'obscurité verdâtre de Talevir, la pièce vulgairement éclairée par quelques lampes clairsemés, Jin avait l'impression de porter le coeur de Tanjiro autour du cou. En collier. Exhibé, palpitant de toute la laideur qu'il renfermait, de toutes ces fissures qui le lézardait. Comme un fardeau qu'il n'aurait même plus la liberté de restituer.  

— dormir dans l'appartement d'un capitaine? Wouah, quel honneur.

Quelques pièces échangé contre son propre bonheur, était-ce vraiment ce qu'il désirait? Evidemment. Jin soupira, et passa ses mains sur son visage dans un grognement étouffé, avec au creux du ventre et sur le bout des doigts cette nervosité fébrile d'un adolescent défiant une quelconque autorité paternel. Le sarcasme ne lui seyait guère. L'amertume non plus. Il lui fallait juste se souvenir que toutes ces choses là, amer et dur, ne lui appartenaient pas.

— Ne t'embête pas pour moi je repartirai quand je me sentirai mieux.

L'idée même avait quelque chose d'étrange, un goût âcre, une sensation glaçante, qui se déposait sur le bout de sa langue. Sa tête l'en lança immédiatement, l'épiderme parcouru d'une série de picotement. Oui Jin, il ferait mieux de s'en aller, il n'y avait même pas matière à hésiter.

Le mensonge serait flagrant s’il devait nier le fait que son invitation n’avait pas eu d’autres intentions. Son charme ne pouvait être nié, ni son attraction étrange pour ses yeux aux milles et un reflet ou sa voix qui rendait son esprit prospère. L’enfant de l’aube avait fait si peu et pourtant; inconsciemment il le tenait déja dans le paume de sa main, s'élevant au stade d’astre et lui vulgaire satellite qui ne pouvait plus se détourner de lui. Un rien, un brin de lui le déstabilisait —le rendait curieux de lui, si bien que les mots s’entechoquaient dans sa tête à force de se demander de ce que son esprit fou pouvait lui murmurait en ce moment précis. (parce qu’il demeurait une chimère, ce genre de créature qu’il évitait autrefois parce que rien ne semblait plus effrayant à ses yeux qu’un autre devenant erzatz de lui en s’imprégnant de ses plus intimes émotions....) Mais désormais plus rien ne pouvait le repousser, au contraire, qu’en dira-t-on, jin avait gagné une rare place privilégiée, l’un de seuls qui pouvait le comprendre sans même lui parler, sans s’encombrer comme les autres de silences malheureux, de larmes et de déceptions.

— quoi? peur d’être mangé tout cru ?

son rictus naissant effaçait la préoccupation qui luisait au fond de ses yeux, légèrement moqueur face à son charme félin, à sembler si vulnérable, chancelant par moment; et pourtant toujours sur le qui-vive, concentré sur le moindre des mouvements du capitaine. C’était alors un soudain éclat de lucidité qui le gagnait, à se remémorer qu’il était un gamin fae et lui, un soldat dont il était le némésis, loin d'être alors un potentiel amant ou même un vulnérable enfant.

— alors fais en moins sorte de te reposer convenablement.

C’était plus fort que le simple poids de sa rationalité de lui demander de rester. Il soupira, souffla sa sincérité de ses lèvres gercées alors qu’il ouvrait la porte annexe au salon.

— un toi qui dort chez moi sera moins encombrant que celui qui sera mort au prochain tournant.

Tanjiro Hanae, avait tout d'un homme détestable.
Tout chez lui semblait préfabriqué, plusieurs couches de peintures superposées qui n'avaient rien à envier aux fresques ornant les chapelles abandonnées. Il aurait été aisé de se laisser aller à juger son comportement  quotidiennement autoritaire et monomaniaque, mais il y avait beaucoup plus que ça. C'était les différents niveaux de lectures qu'il avait à offrir qui faisaient tous son intérêt. Et qui, sans doutes, expliquaient ses névroses. Tanjiro est rigide, Tanjiro aime avoir le dernier mot, mais au fond, Tanjiro est quelqu'un de bien. Contrairement à d'autre, lui, ne tire aucun plaisir de cette situation. Il y avait quelque chose de bon chez cet homme, un zeste d'innocence qu'il ne pouvait détester, un vent de maladresse qu'il ne pouvait s'empêcher de relever. Et si Jin agissait comme un remède contre lui même, il ne voulait pas devenir une nouvelle addiction, une bouffée d'oxygène, un besoin. Il savait comment cela finirait. Qu'il ne resterait plus qu'à le regarder couler, privé de son air, sombrer peu à peu dans les profondeurs alors que les dernières bulles crèvent dans son oesophage, s'échappent finalement et ne laissent que l'étouffant, monstrueux néant.

— Ce genre de question te viennent spontanément ou tu t'entraines devant un miroir pour les caser au détour d'une conversation?

Ton moqueur et sarcastique, de la désinvolture juvénile en symphonie, du Hyo Jin Lee à l'état pur. Tout ce qu'il ne fallait pas pour améliorer sa migraine grandissante, lorsqu'une vague de regret le saisit soudain alors qu'une douleur - plus forte que les autres- le pousse à presser les paumes de ses mains contre ses paupières serrés.

— Ca irait plus vite si je pouvais avaler quelque chose. Et un moi qui se fait voir entrain de sortir de chez toi au matin, c'est bien plus d'emmerdes que ce que je souhaiterai gérer pour le moment.

Il exagérait à peine. Graviter autour des humains était une chose, viser les mystères d'un capitaine en était une autre. Et s'il était doué pour savoir ce que les gens souhaitaient entendre et le leur souffler Jin, il savait aussi reconnaitre lorsqu'une situation, une critique ne pouvait que le desservir.

il avait des charmes insoupçonnés, des manières désinvoltes qui contrastaient avec sa gueule d’ange et ses sourires qui pouvait le faire succomber. C’était fou, à quel point le coeur de tanjiro pouvait se montrer faible au pire des instants; à battre à en rompre juste parce qu’il était mignon, sans se méfier de l’ombre qui se nichait derrière ses pas, sans se soucier de son expérience qui lui hurlait que c’était décidément un mauvais choix. Secret bien gardé, caché sous la honte, la haine, la sévérité de ses traits; la conscience du capitaine était instable et parsemée de fêlures de son âme toujours agonisante de sa rupture. Du deuil d’une relation qu’il n’a pas été en mesure d’accepter, trop égoïste pour être en mesure d’étoffer son désintérêt pour sa voix, ses formes, ses courbes et ses baisers. Il a préféré fuir et l’humilier, se condamner au silence pour préserver sa propre fierté. Depuis il avait laissé la noirceur s’installer, creuser pour devenir un trou, un puit, une cavité où ses sentiments fugaces s’enfonçaient pour ne jamais remonter. —Mais cette fois-ci ils s’étaient échappés. par confusion peut-être parce qu’il exorcisait ses démons ou qu’il avait cette tendresse dans le regard qui le faisait passer pour un homme bon. il ne savait plus, sûrement qu’il n’avait jamais su.

—une fois que tu n’auras plus assez d’énergie pour être insolent, n’hésite pas à te coucher sur le canapé.

Instinctivement en entendant son léger geignement sa voix avait baissé d’un ton tandis que ses yeux s’étaient détournés de sa direction. Il redevenait maladroit, perdant de son allure de soldat, cherchant les justes mots pour lui faire comprendre sa sincérité. mais depuis le début il n’avait jamais trouvé sur quel pied danser; Jin avait toujours ses crocs sorti comme un animal blessé dès le moindre geste ou mot qu’il prononçait.

— je ne ramène jamais de femmes chez moi. alors si tu te fais voir, ils ne se poseront aucune question.

Sa voix résonnait presque comme une messe solennelle; avec un écho sévère, un peu fataliste en demi-teinte mélancolique. mais qu’importe la réaction, il tournait déja son dos pour il s’armer d’une casserole et faire bouillir de l’eau.

— pour avoir autant à redire, j’espère que tu n’es pas compliqué parce qu’il n’y aura pas de choix.

Après le silence engloutissant de sa morosité, le blizzard de ses défiances et ses préjugés qui envahissait ses pupilles, sa soudaine sollicitude et ses éclats d'inquiétudes lui faisaient l'effet d'une faille dans leur équilibre. Une cacophonie épuisante, sonnante, un retour brutale à ce monde si trivial qui avait continué à tourner, grouiller, palpiter, loin, très loin de leur parenthèse. Non, le temps ne s'était pas arrêté partout. En de hors du huit clos de ces séances, Talevir croulait toujours sous le poids de ses propres misères. Le sang battant à ses tempes noyait avec aisance le murmure de leur conversation, elle en deviendrait presque agréable, roulis d'une voix grave dont il peinait à déceler le sens. Une odeur d'huile, de curry, de poivre et de romarin se dégageait de la cuisine et de ses placards ouverts. Jin en avait le regard curieux qui s'extirpait de la pudeur de ses paupières pour se perdre dans la valse de ses gestes. Il serait plus aisé de s'en dégoûter si l'homme ne s'acharnait pas à être aussi attentionné. A ne pas relever tout ce qui chez lui méritait d'être apprécié s'il se contentait de l'utiliser.

— Je suis à peu près certains que tes ils ne sont pas les miens.

Que les siens se moquaient bien que le capitaine se vautre au milieu des courbes féminines ou celles beaucoup plus abruptes des hommes. Il était humain, et cette tare seule aurait suffit à définir la place qui lui revenait.

— Mais c'est que tu as tout du gendre parfait capitaine c'est... confondant.

Ca, c'est le genre de remarque qu'il lâchait par habitude, par convention aussi, parce qu'il y avait quelque chose de confortable dans l'ironie de ces sarcasmes, une pointe d'acidité qui à elle seule aurait du ramené leur relation à son point de stabilité. Jin, il abandonne pourtant le moelleux du canapé pour se trainer jusqu'au plan de travail. Incapable de faire quoi que ce soit d'autre que s'y accouder pour observer ce que Tanjiro viendrait à lui préparer.

— Besoin d'aide?

Il était d’une complexité remarquable de dompter les doutes et les chimères qu’éparpillait le fae dans le flot de ses paroles. Il ne pouvait hésiter, ni même avoir une once de négativité sous peine d’être condamné avant même de commettre le méfait; il ne comprenait pas vraiment à quel point il maîtrisait son pouvoir mais semblait-il que lire son esprit ou ses sentiments étaient suffisamment aisé lorsque tanjiro se retrouvait aussi détendu et mis à nu.

— pourtant, je doute que l’éventualité de t’être fait accorder les bonnes faveur d’un capitaine de l’AR soit une mauvaise chose pour eux.

Fixer leurs rencontres juste après son service était à la fois une idée tentante comme dérangeante. Lorsque le timing était parfait pour que son instinct, épuisé des luttes et des guerres contre sa propre psyché semblait s'accommoder au flot des paroles du gamin-fée, quand soudain le cadre et l'oppression du regard de ses frères d’armes se dissipait en quelques sentiments étranges dans ses entrailles enflammées; il n’y avait alors plus de raison de calculer ou de mentir avec un visage si laid, il baissait avec aisance sa garde, exténué des luttes internes, charmé par le visage de jin à la douceur certaine. il ne pouvait que s’en persuader, qu’il n’avait pas d’arrières pensées, juste, juste peut-être de la pitié de voir un homme si jeune sur le fil de son éternité avoir une âme aussi fragmentée et abîmée par les années.

— autrefois il y eu un temps où j’aurais eu l’occasion de l’être. mais il est tard pour les regrets.

avec les années les regrets étaient devenus spontanés, des virgules, des points au détour de ses rictus forcés. Il entrouvrit ses lèvres pour laisser passer une énième fois son souffle et un soupir résolu pour expier sa mélancolie. intimement nommée “autrefois” comme si les faits étaient si éloignés qu’il ne ressemblait à rien au jour présent, il lui arrivait bien trop souvent de s’en remémorer : est si, il n’était pas aussi cassé? désorienté pour ne trouver aucun plaisir à embrasser une femme? serait-il marié ? heureux ? père d’un enfant qui arborerait ses traits et son si mauvais caractère ? — peut-être se trouvait-là sa pire névrose qu’il lui resterait à exorciser, son opinion si basse de lui-même au point qu’il s’interdisait d’aimer pleinement, à raviver le brasier de ses tourments.

— mais où est donc passé ce chat qui faisait tout son possible pour me griffer ?

Il en riait pleinement de son insouciance qui ne semblait pas avoir tari malgré les longues années de son existence, de cette insolence qui lui donnait un charme tout particulier : ce reflet de ce propre lui qu’il s’était résigné à effacer pour survivre quitte à en perdre la spontanéité. Jin il en avait fait sa plus belle des forces :  son regard qui luisait de désinvoltures et de rébellions, il avait ce caractère forgé par les luttes et la dure survie au travers des allées obscures de sombrerue. L’entendant se rapprocher, il se décala et fit trois pas sur le côté de peur que le lyrium l’incommode avant de lui pointer du doigt un tiroir dans lequel se trouvait des tasses.

— tu bois du thé?

Ce fut comme comme mécanique, lorsque son corps s'anima, qu'il se mit à préparer les tasse de thé avec cette lenteur qui caractérisait chaque "après". Lorsque le temps et son écoulement perdaient tous leurs sens, qu'il lui semblait qu'il avait pu rester des heures immobiles à contempler le plafond, en attendant que le crépuscule injecte le ciel de rose et d'orange derrière les fenêtre du salon. Il y avait toujours un endroit dans son cerveau qui s'agitait en pareil occasion, qui assimilait tout ce que l'autre avait à donner et qu'il s'efforçait de rationaliser. Avec Tanjiro, il hésitait encore sur quel pied danser. Il avait parfois l'impression de toucher quelque chose du bout des doigts. Seulement toucher. Avant que tout ne lui échappe, que cette ébauche, ce brouillon, lui glisse entre les doigts et ne se rallonge sous la coupe de cette seule certitude: qu'il n'y avait là que ça, les fantasmes d'un homme qui se pensait comprit pour la première fois.

— Ils vous méprisent pour la plupart s'ils ne vous haïssent pas. Il n'y a rien de glorieux à travailler avec des humains.

Il se massait la tempe du bout des doigts. Jin, il ne l'approchait jamais vraiment. Ce n'était pas de la crainte, ni de la défiance, plutôt une façon d'être qui s'était forgée au fil de leurs échanges. Une méfiance qui faisait écho à ses élans de sollicitude et l'embryon d'affection qu'il sentait poindre à l'occasion. Il s'y refusait Jin, à être enfermer dans la cage de ses espérances, de ses mensonges et de ses attentes.

— Tes tendances à toujours me comparer à des animaux de petite taille ou à un animal tout court en fait, traduisent tout de même certains penchants capitaine.

Et peut être qu'il aurait fait un merveilleux gendre Tanjiro, si ses passions ne le poussaient pas vers d'autres rivages, si l'océan de flamme qu'il traversait ne l'étouffait pas d'une douleur qui le figeait jusque dans sa chair. Peut être qu'il était trop tard pour ces idées là. Peut être était-ce tout ce qui lui manquait, l'honneur d'une ligné, un mal nécessaire dont il s'acquitterait. Qu'importe dans le fond, ces attentes là, sociales et conventionnelles, étaient tout ce conte lequel il ne pouvait rien faire.

il y avait un croquant, une saveur dans l’épice des paroles édulcorées du fae qui ne faisaient que plus l’ensorceler. Autrefois appelé simple “curiosité”, aujourd’hui obsession maladive qu’il se devait de cacher à ses frères d’armes, jin n’avait plus rien de charmant ou d’innocent; aux yeux de tanjiro c’était les cendres d’un démon qui ravivait son brasier, un sale gosse qui de ses jolis mots et terribles paroles tentait de le faire capituler. à abandonner ses promesses et ses engagements qu’il avait forgé dans l’acier pour se protéger; des certains plus jamais qu’il ne s'attacherait à quelque chose d’aussi fugace que des sentiments charnels et peu prudes par tentation d’être ainsi un peu moins malheureux. Par expérience il le savait, ça n’allait pas marcher, encore moins avec cette apparence qui l'appelait à faiblir au fur et à mesure que ses traits se dissolvaient de son mirage. Quand de son ordinarité se dégageait soudainement une apparence autant juvénile que rustre, des lèvres pécheresses et un sourire tempêtes, des yeux brillants de milles et unes constellations qui ne semblaient s’être éteintes malgré les multiples déceptions. Il y avait un brin d’espoir et de douceur sincère au fond de l’océan de douleur qui se logeait dans ses pupilles sombres. Il n’avait pas besoin d’être en possession d’un quelconque pouvoir pour le deviner. Qu’au fond, Jin il n’était peut-être pas si différent que lui tout compte fait, tout aussi abîmé par la vie si ce n’était que plus, contraint de lutter et s’inventer une force fictive dans le but de se préserver.

—et toi à encore m’appeler capitaine avec une telle aisance révèle indéniablement quelques unes de tes préférences.

Peut-être alors était-ce pour cela qu’il ne pouvait se séparer de lui, que ses yeux, malgré sa volonté de l’ignorer ne pouvaient s’en détacher, à vouloir deviner ses pensées, connaître ses goûts, s’il était plus thé ou café…. —Car voir son propre écho était la chose la plus douloureuse qu’il pouvait expérimenter, self-realisation qu’il était malgré tout ses efforts dans un état aussi piteux qu’au départ, le coeur toujours fragmenté, parce qu’au final, la colle ne peut reconstruire les morceaux qui s’étaient désintégrés.

—mais s’y je devais m’y reprendre, tu tires bien moins du chat que du lapin.

faiblissant face à l’envie incontrôlée de le taquiner, il en oublie d’arborer son indifférence familière et cède au rictus facile et trop évident d’une moquerie volontairement placé au détour de leur conversation.

—La vie est une garce alors il faut jouer les gros durs. mais la candeur t’irai mieux au teint.

alternant le risible au sérieux, il tourne à nouveau son visage vers les fourneaux, coupant le feu qui chauffait la théière pour remplir deux tasses.


—oh, avec ou sans sucre ?

A Talevir, la vie s'apparentait parfois à un long fleuve tranquille. Il savait bien que ça n'existait pas pourtant, les grandes histoires faciles. Pas pour les gens comme lui. Mais il en avait connu les sécheresses, en avait essuyé les tempêtes, avait appris à y vivre comme une ombre coulante sur les façades lézardes de ses ruelles désertées. Alors ça l'était sans doute pour lui, facile. Peut  être était-ce dans cette aisance que s'était ancré les racines de sa sérénité, dans cette inlassable continuité qui perdurait depuis plus de 23 années. Jin, qui avait apprivoisé les silences de la ville, qui s'était accommodé de ses dérives, y avait forgé les délires de ses évasions, le risible de ses dérélictions. Parfois, au coeur des dunes de sable, il lui semblait que son coeur battait plus fort, galvanisé par cette simple idée, celle d'y avoir maladroitement bâtit un foyer. Parfois. Seulement parfois. Parce que si la guerre n'avait pu lui ravir l'espoir, il savait qu'il ne l'était plus vraiment, libre. Que la cage dans laquelle il évoluait était invisible. Institution tentaculaire qui avait engloutit tout ce qui l'avait vu naitre, qui ne désirait rien d'autre que de le mettre à nu. De les manger tout cru.

— Un capitaine, c'est ce que tu es. Un animal de petite taille, c'est tout ce que je ne suis pas. Mais j'imagine que ça fait partie de ton... "charmant" sens de l'humour'.

Ces choses là, Tanjiro ne semblait qu'occasionnellement s'en soucier. Ou si rarement que le vent perpétuel de ses sautes d'humeur le ramenait perpétuellement aux mêmes ardeurs. Cette insouciance là, cette presque innocence flirtant avec l'inconscience était hors de sa portée. Jin avait une conscience accrue de ce qui lui collait à la peau, qu'il avait bien trop à perdre pour s'y complaire. Que tout ce qu'il possédait ne tenait qu'à un fil, mirage d'un équilibre qui ne se résumait pas à lui. Oui, Jin savait bien que tout autour de lui était beaucoup trop fragile pour ce genre de chose. Pour un flirt soudain qui n'avait pas lieu d'être. 

— Me peindre plus "candide" que je le suis n'en fera pas pour autant quelque chose de vrai. Et oui, la vie pour les gens comme moi est difficile.

Il y avait une étrange proximité dans cette capacité que Jin avait de toujours deviner ses pensées, de toujours savoir ce que l'autre ressentait. Pourtant rire de ces choses là, ces souffrances supposées, celles qui avaient été et ne pouvaient être effacées, était difficile à imaginer. Pas au côté de quelqu'un qui en savait si peu - dont la vie était si courte, si insignifiante sur l'échelle de leur existence. Tanjiro, sans doute ne pourrait-il jamais comprendre le poids de ces choses là. Sans doute lui manquait-il une expérience qu'au fond il ne lui souhaitait même pas. Un battement de paupière, et Jin haussait son épaule face à sa dernière interrogation, se contentant de récupérer sa tasse après un bref remerciement.

— il est sûr, probablement que je ne vivrai pas assez longtemps pour prétendre un jour avoir souffert quelque chose de similaire. mais il n'empêche que devant moi il n’y a qu'un autre que tu prétends être.

Bien que l’idéal germait souvent ses espérances en cruelle peine, il ne pouvait s’empêcher de peindre une toile plus gracieuse et charmeuse du fae qui arpentait les recoins de sa demeure. Probablement par curiosité, par simple naïveté, mais surtout, certainement, par espoir de se débarrasser de sa solitude viscérale. Car les bras l'étouffait, les baisers demeuraient trop chastes, les draps trop froids. Depuis combien de temps seulement n’avait-il pas amené un quelconque invité ? Ou bien même, l’important n’était pas qu’il se trouvait chez lui; probablement que la réponse se trouvait dans les douces sonorités qui rimaient avec lui. Avec un garçon aux allures trompeuses, aux paroles enfers, il s’était déjà jeté dans les braises criminelles, embourbé dans la pseudo-trahison de ses engagements. Allait-il seulement pouvoir rompre l'affection de ses sentiments trop fous? Que jin sera un peu plus qu’un garçon qui le sauvait de ses démons, mais un peu moins qu’un homme dont il gémirait le nom?

— je ne suis pas d’ordinaire comme ça. et je ne sais pas si c’est ton pouvoir qui me fait dire des choses comme ça.

Parce qu’il y avait cette chose en lui qu’il ne pouvait expliquer lorsqu’il était à ses côtés, si tantôt la hantise de l’autre annihilait tout, désormais c’était une chose différente qui primait, malgré son envie incontrôlable de se taire et de fermer les vannes de ses émotions ravagées il avait laissé passer un rayon de soleil qui adoucissait lentement le givre de son caractère.

—mais je ne peux m’empêcher d’être curieux de cet autre toi.

Jin alors s’amuserait certainement de voir cet homme qui il n’y a même pas un mois prétendait être si fort et indomptable lui dédier toute son existence pour une soirée. Celui dont la cruauté s’était révélé être de la tendresse, sa violence un besoin silencieux d’être désiré.

Tanjiro.
Son coeur grand ouvert avait la présence écrasante des grands bouleversements. C'était excessif, c'était un perpétuellement, comme toutes ces petites choses que l'humain semait. Son regard lui tendait les bras, hésitant, et l'invitait comme d'un commun accord à rédiger l'armistice d'une tension qui de pertinente n'avait que l'intensité qu'il lui concédait. Parce qu'il y était enraciné Jin, à son identité, à ses douleurs et son passé. Les souvenirs remontaient de ses tripes à chaque fois qu'il sentait son affection fleurir, comme ne litanie romantique, ils lui murmuraient qu'il devrait avoir honte de lui, l'estomac tordu dans une douleur diffuse, comme si ses muscles s'était contracté dans l'attente qu'il extirpe sa sentence de sa trachée. Dire qu'il tombait pour l'autre serait exagéré, mais lorsqu'il fermait les yeux, il n'y avait rien d'agressif dans la chaleur que Jin lui renvoyait, juste une empathie qu'il peinait à compatir.  

— Ce n'est pas une question d'âge mais de condition. On n'a pas besoin de vivre cent ans pour tout perdre.

Il savait bien à présent à quel point il était difficile pour l'autre de se mettre dans les chaussures d'une race qui n'était pas la sienne. Son ignorance,  elle s'était forgé dans la tendre inconscience de la bulle au sein de laquelle il avait toujours évolué. Il serait peut-être temps qu'ils voient les yeux à travers de ceux qu'ils redoutaient tant. 

— Alors non, je ne prétend pas être un autre. Je suis comme ça comme je peux être autrement, personne ne se résume à un seul aspect.

Tanjiro n'avait terriblement aucune idée de l'image que ses joies renvoyaient, si ce n'était l'illusion de l'idéal qu'il se forgeait. Rien ne vous faisait monter plus haut que des rêves aux teintes d'allégresses et aux rires pastels pour ensuite s'écraser brusquement d'une chute terrifiante. Il n'y avait rien de pire que le réel qui les dévoraient, avide, et en volait les couleurs. Que pourrait-il faire d'autre que de serrer le vide lorsque ces chimères s'envoleraient?

— Il faut apprendre à comprendre de ce moi là pour pouvoir connaitre l'autre. Parce qu'il y a des portes qu'on ne peut plus refermer une fois qu'on les a ouverte.

Jin, il se souvenait du jour de leur rencontre, lorsqu'il l'avait accusé d'une légèreté que lui conférerait sa longévité. Sans même réaliser que chez lui l'affection, la considération et l'amour avait plutôt des goûts d'éternité. Ce n'était pas un chemin que l'on pouvait emprunter en passant par une porte dérobée. Il fallait d'abord embrasser la dureté avant de pouvoir comprendre la valeur de ce qui nous était donné. Mais est-ce qu'il avait seulement envie de ça? Connaitre l'étranger avant d'enlacer l'ami? Découvrir l'ami jusqu'à se tenir sur la porte des "et si"?

Quand il observait le monde, tanjiro ne pouvait s’empêcher de l’idéaliser, à en brouiller les décors afin qu’ils deviennent méconnaissables, effacer les visages pour en alléger la peine de leurs traits. Ainsi, son propre esprit —un temps soit peu fou, il réecrirait tout à l’encre de son ignorance pour s'accommoder à ses espérances ; que Talevir, prétendait-il qu’elle n’était pas si laide, tout comme ses amis, ses frères d’armes qui n’étaient pas tous aussi cruels qu’on le lui suggérait. Et à chaque incohérence se déroulait ce même abject mécanisme de préservation : les images étaient incessamment effacées au point que leurs souvenirs en deviennent presque des inepties— pour n’en garder que l’amertume d’être passé à coté de quelque chose d’essentiel à sa vie.

—je vois. il en va alors de même pour toi. ne va pas croire que je suis toujours comme ça.

Alors Jin, peut-être qu’il était devenu lui-même victime de cette folle absurdité, lorsqu’il se débarrassait de son manteau trop lourd et de sa vulgaire mascarade il ne pouvait s’empêcher de dissiper la laideur de tout son être pour ne garder qu’un masque dont il ignorait la réelle nature ou la terrible vérité.

—la vie est plus facile lorsque que personne ne nous voit. ou que mes actions ou mes choix n'auraient aucune importance.

à lever les voiles de son indifférence qu’il avait forgé avec les déceptions et les désillusions, à reposer son esprit exténué pour simplement se laisser le coeur en naufrage vers les rivages incertains. Certainement vers ceux de Jin, poussés par sa propre curiosité dans leur direction, mené par des naïfs espoirs de trouver quelqu’un qui pourrait compatir à sa situation.

—je me suis encore une fois emballé. j'oublie parfois qu'on ne se connait même pas.

Il s’était indéniablement trompé sur son compte, il n’était pas comme lui, hanté par les mêmes démons (mais pas d’autres), parce que ressentir ses émotions n’était pas tout à faire les vivre, jin ne pouvait que s’alourdir la conscience à force de se tenir à ses côtés sans réellement comprendre ce qui le tourmentait.

—alors je vais arrêter de t'ennuyer.

murmure presque silencieux qui extirpa sa vive déception, il se masse douloureusement les tempes avant de se tourner lentement pour couper le four et lui tendre une assiette.

Il s'en interrogerait presque. Etait-ce les masques qui venaient se se greffer au visage ou bien les visages morcelés qui s'inclinait pour s'abriter derrières leurs expressions figés. C'était là une énigme que le fae ne s'abandonnerait pas à verbaliser, car il faudrait admettre. Il lui faudrait regarder l'horreur toute nue que sécrétait chaque pores encensés de leur visage. Et du fond de leurs entrailles surgirait l'horrible vérité, dégoût familier face à ce monde au faste démesuré, jurant ridiculement avec la morale entachée qui en tapissait les moeurs incessamment prêchés. Fièvre envers cette sensation d'échec qui l'embourberait face au vide sur lequel reposait chacun de leur précepte. Il se l'était demandé Jin, si Tanjiro désirait réellement le connaitre. Ou  s'il n'espérait que le confort rassurant de ses ignorances, une image de lui qui n'existait pas vraiment.

— Je n'en attendais pas grand chose.

Il ne savait pas ce qu'il espérait, à chercher une forme de proximité pour ensuite s'en détourner. A chercher l'espoir sur la toile de sa compréhension pour finalement être marqué par la vague de ses déceptions. Vivre ses émotions au rythme de leur explosions ne l'aidait pas à saisir le fil de ses réflexions, à comprendre ce qu'il ne disait pas vraiment. 

— Merci pour le repas.

Ou bien était-ce lui qui ne pouvait pas comprendre. Peut être était-ce Jin qui ne parvenait plus à craindre ses propres brûlures, ni à redouter ses prochaines blessures. Peut être était-il devenu ce mal kamikaze qui se rongeait autant qu'il s'étendait. Peut-être n'était-il plus que le pale reflet d'une étoile orgueilleuse et égoïste qui portait la torche d'un idéal dont la croisade se résumait à l'autocentrisme de ses convictions  - qui était-il près tout pour imposer à un autre sa vision du monde?