à l'ombre de nos secrets ✧ Tajin

Ce soir, Jin rêvait.
Il rêvait de musique, celle qui s'épanouissait au plus sombre des nuits d'été de la demeure familiale. Enfant, elle lui semblait immense. Et dans le jardin garni de rosiers, sa mère passait et repassait comme un Morpho Bleu parmi les sopranos, le murmure des conversations et les étoiles. Elle était belle, dans sa robe au délicat drapée, dans ses mains qui toujours s'égaraient dans ses cheveux lorsqu'elle le croisait. Il rêvait de sa voix. L'agacement de ses réprimandes. Ce soir, Jin aurait offert milles offrandes et prononcé tout autant de prières pour que les Aevhen lui ramènent sa mère. Pour qu'elle l'engueule. Même au saut du lit, même si ça devait finir en porte claqué à en faire trembler les murs et en bouderies d'enfant pour deux jours.  Ce soir, il a les yeux péniblement entrouvert, et il y a bien trop de place dans le hamac qui tangue, que du vide au bout des orteils. Et il aurait voulu ne jamais avoir à s'habituer à ça. Au vide qui résonnait partout autour de lui, en lui. Aux échos qui ne succédaient que de silences étourdissants, des vacarmes bâtit de leur cacophonie muette.
A la solitude et à sa présence écrasante.

Il n'aurait jamais cru qu'il pouvait encore être aussi imprudent. A s'affaiblir bêtement jusqu'à être incapable de s'occuper de lui même. A ne pas pouvoir soigner ses propres plaies alors qu'il en avait fait sa première règle. Mais les faits étaient là. Il avait été incapable de refermer l'entaille incrusté dans la chaire de son dos Jin, tout juste bon à s'y épuiser jusqu'à finir recroqueviller dans son hamac, l'épaule sommaire bandé. Ses paupières se plissent, pupilles aveuglées par les étoiles qui s'invitent entre ses cils. Ces deux dernières journées avait été compliquées. Il s'était fait attaqué l'avant-veille, pour une histoire toute bête, de marchandise ou de service qu'il avait décliné - il n'était même plus sûr du point de départ de leur dispute. Juste de la lame fantôme qui avait déchiré la peau de son dos, semant une myriade de petite tâches rouge sombre, brillante comme de l'asphalte fondue, qui étaient venu tâchées sa chemise pour ne plus jamais la quitter. Il ne s'était échappé que par miracle, comme s'il avait eu des ressort sous les pieds avant de regagner sa planque.

Et maintenant, maintenant qu'il était là, avachit dans l'attente que ses forces se rétablissent, que sa fièvre s'amenuise afin qu'il puisse se déplacer pour proprement prendre soin de lui, le monde se résumait à une succession de délires et de rêveries. Chimère d'un imaginaire que l'écho des bruits de pas s'approchant de lui ne parvint pas à perturber. Il était si fatigué Jin, si épuisé de tout, du reste, que sincèrement, il s'en foutait.

— Aujourd'hui je ne bosse pas.

Ses tourments commençaient toujours par des et si? habillés d’une robe de regret. Lorsque inévitablement il se complaisait à se dire qu’il était responsable des fatalités de sa vie. à aimer la mauvaise personne, et s’attirer les flammes trop brûlante de ses émois (à quoi bon chavirer si ce n’était que pour éprouver un amour qui ne sera jamais retourné ?) —peut-être simplement que ça lui suffisait parfois, d’aimer, aveuglément, silencieusement quitte à ce que ses sentiments soient enterrés dans la torpeur et la démence des rêves nocturnes. Tanjiro avait toujours été ce verre qui se remplissait trop vite d’émotions, toujours à ras-bord sur le point critique d’implosion, il avait appris avec le temps à en cacher les bavures, à surjouer la cruauté de l’ignorance, à prétendre que ces futilités n’avaient aucun sens —pourtant il adorait, se prenait d’affection plus tôt que les autres (ensorcelé pour un sourire, une voix un peu trop douce) car il était condamné à toujours être dans le néant ou l’excès; à les confondre dans l'intérêt visible qui leur montrait, à souffrir de tout ce qui se contraignait à restreinte et annihiler.

Comme Jin peut-être qui depuis quelques jours n’était plus que l’ombre du garçon qu’il avait cru rencontrer. Lorsque le monde s’était chamboulé, que les paroles prirent trop de sens, que l’humain prétendait avoir trop d’humanité. Après tout, qui était Tanjiro pour prétendre que leur races l’importait ? qui était-il pour lui proposer de céder au parricide pour des sentiments à peine fleuri qui portaient pourtant déjà une date d’échéance-calamité ? C’était simple pour celui qui vivait si peu de temps, celui dont la faucheuse rouge hantait déjà le sang. qu’avait-il à perdre de plus si ce n’était que son insignifiante vie ? Il n’y avait pas pensé à ce que le garçon adviendrait une fois qu’il ne serait plus et même s’ils auraient un jour atteint ce point dans leur relation avorté.

Il s’était égaré dans son trop de naiveté à croire que tout se réglait si facilement s’il y avait des sentiments et de la bonne volonté. Tanjiro était un soldat haut gradé, un tourmenteur sur un plateau d’échec dont il avait rédigé les règles. Et Jin n’était pas plus qu’un pion.

Et il avait alors réalisé son méfait : comment pouvait-il avoir été aussi ignorant et cruel face à celui qui lui avait ouvert une porte de sortie à ses démons et sa dépression qui hantait sa chaire depuis des années ?

Ce soir il n’avait pas toqué à sa porte. ce soir, tanjiro avait laissé sa tasse de café devenir glacée à force d’attendre le son familier de son arrivée. mais il n’était jamais venu. Alors peut-être, fatalement il se demandait s’il n’en avait pas eu marre de se forcer à venir quand il faisait simplement face à un homme qui avait sa vie aussi tangible et fragile (qui voudrait sauver un cas désespéré, enchaîner l’espoir à une sphère d’obscurité ?) Il ne devrait pas s’en soucier, d’ailleurs il s’était juré de ne plus le faire depuis cette fameuse soirée, décidant de retrouver son attitude de capitaine et lui, de fae. Alors aujourd’hui ne devait en aucun cas être différent, pourtant, le voilà à sentir son palpitant manquer un battement comme s’il venait de manquer quelque chose d’important. Une intuition dans une hypothèse naissante ? peut-être qu’il avait tout simplement oublié le jour. peut-être que Tanjiro ne devrait pas aller le chercher parce que ce n’était pas après tout essentiel. Mais il n’en avait qu’à faire de sa logique, il avait le coeur aux promesses trouées, ses jambes trouvèrent ses bottes, ses bras, son uniforme et il se jeta dans les bras froids des allées de sombrerue, hantant comme un fantôme errant les arrières boutiques, et minables rues. Mais il aurait cru rêver mais il avait reconnu cette allure bancale et ce dos aux formes qu’il avait eu le temps d’observer. Il s’empressa de s’agenouiller pour que leurs visages soient à hauteur similaire, qu’il puisse malgré la fatigue de l’insomnie le reconnaître parmi le flou de ses souvenirs cryptiques.

— Jin.

Il n’en dirait pas plus, pour ne pas l'inconforter. Observant ses traits abîmés par la douleur et la fatigue il sentait alors son coeur battre à en rompre ses entrailles d’une rage nouvellement née. mais qu’importe qui lui avait fait un tel mal, il s’enragera plus tard, il s’occupera de trouver et régler le compte de se malfrat plus tard— il lui adressa un léger sourire forcé et une main tendre qui caressait sa joue gelée avant de l’entourer de sa veste pour recouvrir la laideur de sa plaie et réchauffer toute l’entièreté de son corps qui tremblait.

ses yeux s’étaient ancrés dans les siens pour combler les mots qui lui manquait et les envies qui le dévoraient. Il voulait le protéger, lui dire que tout irait bien, le serrer dans ses bras, mais qui était-il pour lui imposer des émotions que lui seul vivait ?

Sa silhouette jurait.
Dans l'insalubrité de Sombrerue, encombrée de ses refuges de fortunes, curieux spectacle qu'était cet homme évoluant parmi la crasse et la vermine. Il le reconnu avant même que son visage ne s'esquisse. Dans le brouillard de sa confusion, alors que ses pensées s'épaississaient, semblables à ces eaux qui dépassent  leur niveau, s'emmêlant aux souvenirs plus amers, jusqu'à se ruer contre les cellules grises, à déborder dans les rétines, sur le palpitant erratique. Jin avait les lèvres sèches et l'esprit fourmillant d'un trop plein de futilités. Parodies de théâtre mélancoliques enfouit à même la peau grise. C'était si tendrement ironique après tout, de le voir se précipité ici, soucieux et concerné alors qu'il n'était même pas sûr que l'homme sache clairement ce qu'il désirait.

Jin.
Ses lèvres s'écartèrent dans un soupir qui ne trouva que le vide. Il peinait à saisir l'ouragan de ses sentiments, leur violences et leurs inconstances. Il lui semblait parfois que l'âme de Tan n'était guère plus qu'une prison dont les allés s'étrécissaient à chaque embranchement. Un bassin fécond où s'échelonnaient les nuances de l'horreur. De l'auto-dépréciation. Qu'il n'était qu'un astre mourant gravitant autour d'une chaleur réconfortante, qui s'en gorgeait dans un élan boulimique tout à fait désespéré dans l'espoir de parvenir à s'en gorger. Il était de ceux dont le bonheur n'était qu'éphémère, noyé sous le poids de ses propres misères, dont la présence envahit et écrase d'un perpétuellement débordement de ces souffrances qu'il taisait à chaque instant. Jin. Il ne savait pas si un jour il pourrait briller aussi fort. S'il ne s'éteindrait pas avant.  Il aimait ce bien être qu'il procurait aux autres. Il aimait l'homme qu'il tentait d'être, les valeurs qu'il poursuivait, les soins qu'il prodiguait. Il haïssait, en revanche, l'idée d'y être confiné. Cantonner à la simple fonction qu'on lui aurait dédié. A un mensonge auquel il ne pourrait s'identifier.

— Qu'est ce que tu fais là?

Il ne voulait pas le voir.
Le corps encore secoué de ces tremblements incontrôlés, il fit pourtant l'effort de se redresser, ignorant les étoiles qui dansaient à la frontière de son regard, pour pouvoir le regarder sans cette désagréable sensation de se trouver diminuer. Et si la courbe de ses cils parvenait à adoucir le feu de son regard, tout dans sa posture exprimait l'évidence de sa réticence. Un coin de ses lèvres s'agitait, tic familier qui surgissait à chaque fois qu'il sentait l'agacement se disputé à l'inconfort de sa nervosité. Parce qu'il n'aurait jamais dû se trouver là Tan, parce qu'il profanait bien trop de chose déjà. Il n'était pas désiré dans cet endroit, au coeur des groupes de fae que la citée avait négligée, oubliée. Il s'exposait, vêtu de son uniforme, habillé de pied en cape. Jin - ses paupières s'abaissèrent dans un un nouveau soupir. Il ne savait pas quoi faire de lui, de ses changements d'humeur, de ses prises de risques, de ses indécisions. Il était épuisé de cette relation qui n'en était pas vraiment une. Fatigué de s'en soucier, de se préoccuper des sentiments qui pouvaient l'habité. Il ne voulait pas le sentir s'accrocher à un mirage, à sans cesse désirer ce quelque chose qui ne viendrait pas. A sentir ce battement qui buterait contre le néant, avant de regagner les digues fendillés de l'ersatz de leur hostilité, à croire que l'ordre naturel des choses ne leur laisserait pas le luxe de s'imposer.

— Ce n'est vraiment pas le moment pour ça, cap'.

Jin était si cruel parfois, lorsque l’indifférence se puisait au coeur de ses traits et que ses gestes réclamaient seulement et uniquement son départ pour l’éternité. Sans une once de douceur ou de compassion, sans même un regret, un regard en arrière ou une once d’hésitation. Il avait le regard qui virevoltait entre le décor et le dégradé de l’obscurité sans la moindre consistance, dans l’ignorance que pour Tanjiro il n’y avait rien d’autre à observer.

Or, les doutes étaient néants devant l’évidence qui se trouvait juste devant lui, dans ce visage rougi par la morsure du froid, ces lèvres pécheresses dont les désirs fous pour elles étaient réprimés à chaque fois. Il développait un paradoxe émotionnel à le désirer à chaque instant un peu plus à force de manquer de lui, un peu moins, lorsqu’il le voyait se tenir devant lui. Parce qu’il faisait si mal le Fae à s’armer, impitoyable de l’épine barbare d’un amour non partagé. Lorsque pour Tanjiro, son monde se chamboulait pour un soupir, pour le moindre épice de sa voix, et que dans ses yeux, le flot semblait sur le point de déborder à chaque tremblement de son faible corps mutilé. Il y avait l’alchimie de son attraction et de sa rage qui, naissantes devenaient simple destruction. Il en avait pourtant vu des estropiés, des frères d’armes aux corps indifférenciables une fois calcinés pourtant, il n’en avait senti le besoin de deuil ou l’agonie de se faire justice mais pour lui et seulement lui toute sa logique semblait d'outrepasser.

C’était risible pourtant de se rendre compte qu’il pouvait lui donner tout et que jin ne lui offrait rien. mais il s’en foutait, il ne le faisait que pour son propre compte sans se soucier des chances qu’il avait de le charmer. Ce n’était plus du flirt romanesque ou de la curiosité, seulement son propre mécanisme de survie, la seule éventualité pour que son coeur cesse immédiatement de souffrir. de souffrir d’eux, de souffrir de lui.

— cache ton visage avec ça.

le timbre rendu rauque par la fatigue, il referma quelques boutons de son uniforme avant de draper son visage du foulard qui recouvrait son cou. Il jouait les durs, prétendait être fort en se retenant du moindre geste tendre à son égard de peur qu’il ne lui file encore une fois entre ses doigts.

— rentrons.

Sans le réaliser malgré ses prétentions et son altruisme, il en avait déja conçu l’image charmeuse qu’il pourrait être sien, qu’un Jin avec un Tanjiro irait si bien. Il avait les pupilles dilatées d’attention et de sentiments qu’il jugerait grotesque s’il les entendait, mais avant même de reprendre ses mots, il retroussait ses lèvres et perdait ses lèvres dans le vaste rivage de ses iris étoilés.

Il y avait quelque chose d'amer et de dur dans le regard que le fae lui renvoyait, une colère rentrée, des fantômes des souvenirs passés ravivés, exaltés, jetés dans la cruauté d'une réalité à laquelle il n'avait pas le luxe d'échapper. Jin. Il s'en était toujours drapé, de ce calme inné, de cette incapacité qu'il avait à simplement se laisser aller, bercé par la rassurante fatalité d'une rationalité qui l'aurait toujours accompagnée. Mais Tan, il ne lui laissait aucun espace. Il grouillait, s'infiltrait, comme la maladie insidieuse  tapie dans l'ombre sibylline de chacune de ces pensées. Ses mots qu'il ne prenait jamais la peine à retenir, qu'il lui jetait au visage comme tout autant d'outrage, glissaient entre ses lèvres avec une aisance qui frisait l'indécence des folles inconscience. Il n'avait aucun droit Tan, à s'attarder dans sa tête, à laisser sa marque dans son âme et de sa chair. Avec ses regards délavés qui suintaient l'oublis, avec sa jeunesse avortée, gâchée au rythme des choix qu'il avait un jour fait. Ses gestes nerveux trahissaient l'impassibilité marmoréenne de son expression, ses yeux agités traduisaient les torrents d'inquiétude et de frustration qui se déversaient dans le creux de ses tourments, toujours. Mais Jin, Jin avait abandonné son habit de guérisseur. Jin n'était qu'une souffrance, Jin n'était qu'hystérie. Jin n'était qu'un homme comme Jin se sentait enfant. Un paquet de nerfs à vif dont chaque incision dans la chair sanglante deviendrait fatale, irréversible. Si d'ordinaire Jin était le coeur qui mourrait au crépuscule pour mieux revivre au levant, en cet instant; il se sentait homme au froid bouillonnant, une statue branlante forgée dans un fer brûlant. Vulgaire bouteille de butane prête à lui exploser en pleine face.

— Rentrons?

Ca avait claqué dans l'air comme un coup de tonnerre. Eclair cruel et malicieux qui vient frapper son coeur et son corps. Boum. La tension est trop forte, palpable et insupportable. Boum. Pour qui se prenait-il? Boum. Pour quoi le prenait-il?

— Il faudrait que tu penses à te réveiller.

Mais Regardes-le Tan.
Cloitré dans le pathétique de son impuissance, dans l'hystérie de son instabilité, tourment de ses inconsciences et de tout ce qu'il ne parvenait plus à rationaliser.  La rage et l'intimité qui s'y disputaient. Alors Jin, peut être qu'il voulait faire gronder un orage, peut être qu'il voulait peindre son ciel de rage, qu'il le voit aussi Tan, à quel point il lui faisait mal. A quel point c'était dur pour lui, de ne rien saisir, et de ne pas le vouloir aussi. A en rejeter la simple idée, l'inepte possibilité qu'il puisse lui accorder la chance de le lui prouver, que peut être - peut être il pourrait faire parti de ceux qui compteraient.

— Je ne suis pas ta foutue BA, ni ton putain d'exutoire ou je ne sais qu'elle lubie qui passe par ta foutue tête. Alors tu ne peux pas débarquer chez moi et faire comme si on était proche alors que le reste du temps tu me traites comme n'importe quel foutu soldat.

Il se sentait vidé, si proche de totalement perdre pied, les yeux fermer, la poitrine écartelé, rongé par tout ce qu'il ne pouvait expliqué. Alors sans doute était-ce bien le désespoir qui se disputait à la rage qui noyait son visage.

— Mais qu'est-ce que tu veux de moi putain? 

Il n’y avait pas de prétention lorsqu’il n’y avait qu’une seule réponse à ses questions. à ses yeux qui s’obsédaient pour lui, pour ce trop de Jin que ses émotions lui réclamaient, pour cet autrefois qui semblait déjà si lointain lorsqu’ils n’étaient que de simples astres qui avaient eu la chance de se croiser. Quand, dans ce temps, déjà lointain pour lui, il se remémorait quand candide était sa curiosité, ignorants ; leurs intérêts. Lorsqu’il était si simple de raviver la flamme d’un flirt maladroit sans en sentir le poids dans sa conscience, à commettre un risible péché sans en sentir la culpabilité. tout était plus simple quand ils ignoraient tout de l’autre. Quand Jin n’était que lui, et Tanjiro un homme fou de lui. Et il n’y avait pas de retour à la case départ, ni même d'inhibition possible, car après tout, autant pouvait-il se résoudre à prétendre, il voyait au fond de ses yeux, les étoiles et leurs vestiges, son pouvoir qui s’abreuvait des émotions qu’il tentait de rendre futile. C’était ironique, ce même don qui l’avait fait succomber pour lui était désormais son talon d’achille. L’abolition absolue de pouvoir prétendre être juste bon, la condamnation cruelle de noyer l’autre de ses sentiments étouffants.

— je ne suis pas bon avec les mots.

Car il ne parlait jamais de ses problèmes à quiconque, ne se confiait jamais lorsqu'il s'agissait de sa psyché sacrée; seul Jin en avait gagné le privilege, seul jin peut-être avait ainsi gagné tant d'importance que les autres étaient risible à ses yeux.

— je ne sais pas comment expliquer tout ça.

à ses mots cruels qu’il lui avait soufflé, il cesse la lutte, s’abaisse pour écraser son dos contre le mur gelé et laisse son sourire se disperser d’inconsistance face à sa nervosité. c’était étrange de se retrouver cloué face à cette nouvelle sensation, sentir ses bras ballants d’incompétence, sa gorge de nouer d’une multitude de phrases, de mots qu’il désirerait lui prononcer sans qu’un mot ne puisse parvenir à s’en échapper car la douleur s’écoulait entre les parois et les craquelures de son cœur et corrompait sa rage et sa colère en soudain vague-à-l’âme. Tanjiro  renaissait sous le poids de son regard, à devenir un loup solitaire qui avait perdu ses crocs, instinct de meute écrasé par les maux d’amour qui percutaient sa peau.

— tu me fais mal au cœur Jin.

C’était une sensation inédite qui venait l'oppresser, la soudaine contraction nerveuse de chacun de ses muscles, la voix chancelante qui perturbait le calme absolu de ses mots. Alors que ses bras se croisèrent en quête désespérée de stabilité, ses yeux sentant la marée haute déborder s’empressèrent de se lever en direction du paysage étoilé.

C'était comme assister à la fonte d'un géant de glace. Ca débordait de partout. Un océan qui, impitoyable, se pressait contre la frontière pudique de ses paupières. Qui timidement voilait le naufrage de ses peines. Il n'y avait rien de plaisant dans ces douleurs là, aucune satisfaction qui viendrait l'étreindre à la vue de la chute de cet homme là. Il y avait quelque chose de rance et de cuisant, d'acide comme un fruit trop mûr, bouleversant comme si sa douleur pouvait devenir sienne - et peut être qu'elle l'était déjà, peut être qu'il s'y était fondu Jin, sous la peau de Tan.

Alors évidemment qu'il ne pouvait faire autrement.
A ployer son corps jusqu'à pouvoir attraper son visage du bout des doigts, doucement, pour que ses pouces puissent venir cueillir les larmes fantômes qui n'y coulaient pas encore. Il l'aimait, Tan. Trop. Beaucoup trop. Et peut être que ça les détruirait. Peut être que ça les consommerait pour de bon, la fournaise infernale de leur sentiment. Mais ce monde qui vacille, ce basculement dans son esprit, cette boule qui gonfle et écrase tout dans sa poitrine, c'est comme si tout en lui, lui soufflait qu'il l'aimait aussi Jin. Il ne pouvait pas détruire ça. Il ne pouvait pas le détruire lui. Parce que c'est tout ce qu'il avait toujours espéré sans même savoir qu'il pouvait le chercher.

— Tu m'étouffes.

Pire, il l'envahissait.
Dans ces sursauts de naïveté comme lui seul savait en tisser, il se glissait à ses côtés et l'enserrait de tous ce que sa bouche, ses lèves, son coeur, ne parvenaient pas à formuler. Ca se faisait un peu plus fort, un peu plus dur à chaque rencontre - sans doute était-ce même trop brusque, cette vague qui venait s'écraser contre les récifs de sa conscience. Alors qu'il était là, et qu'il avait un peu de rancoeur qui tordait sa bouche dans une ligne crispée. Alors qu'il recevait Tanjiro de plein fouet. Il était bien plus que ce qu'il avait pu songer - il aurait pu lui ravir l'égoïsme de ses sourires. Il aurait pu lui ravir l'amour et la décadence de son affection, l'impropre de sa passion. Tan, et ses lèvres qui ne s'étiraient jamais. Tan, et sa flamme qui vacillait.

— Tu prends toute la place. Tout le temps. Et ça, ça ne devrait pas me toucher autant.

Il se sentait risible Jin, soldat marchant sur les cendres de sa révolution si peu révoltante, de son emportement si peu satisfaisant. Il le dit et il pourrait presque la toucher du bout des doigts, cette vérité qui n'en devenait que trop tangible, un mal liquide qui grandissait jusqu'à tout engorgé autour de lui. Est-ce qu'il pourrait en mourir de Tan? De ses folies et des nymphes qui dansaient dans ses iris?

— Tu me fais mal Tan, quand tu fous le bordel dans ma tête et que je ne sais pas quoi faire. 

Les paupières closes sous la soudaine douleur devenue lointains maux, ses doigts vinrent chercher ses mains froides et calleuses devenues brûlante au contact de sa peau. On en aurait jamais imaginé qu’il puisse révéler une facette aussi vulnérable de lui, de n’être qu’un colosse aux pieds d’argile, un homme réduit à martyr en de simples quelques mots, en de quelques mots prononcés par lui, — peut-être était-ce là la différence avec tout les autres; Parce qu’il n’y avait qu’un criminel qui pouvait entraîner un autre dans sa chute certaine, comme le mal attirait le mal, il renaissait sous sa tendresse en brasier trop vif qui s'asphyxiait de ses propres flammes et qui inévitablement mourrait sous le manque d’oxygène.

Parce que le capitaine aimait avec excès, succombait de manière insensée sans en espérer la moindre réciprocité (silencieuses déclarations, obsessions secrètes, sourire amers, douce agonie — mais Jin changeait la donne parce qu’il ne pouvait rien lui cacher), parce qu’il le voyait dans le poids de son regard et le choix de ses mots : cette incompréhension, culpabilité née de cette impossibilité de retourner ce qu’il ressentait; alors il avait juré, (afin de ne plus être confronté à ce regard, ce dégoût qui luisait au coeur de la mer de pétrole enflammé)  juré de retourner au point de départ pour ne pas le noyer de ses émotions qui débordaient; quitte à prétendre ou à souffrir sans remède à ses tourments.

Alors il s’y était attendu à l’épine insidieuse et à la moquerie, à son sourire narquois et sa douce ironie. Qui avait-il de plus risible qu’un homme si puissant qui dépose son coeur au pied d’un ennemi ? Il avait fermé les yeux pour n’attendre que la douleur de sa cruauté, son corps qui ployait déjà en sentant son corps s’approcher dangereusement du sien. Il faiblissait, attendait que le venin s’infiltre sans jamais qu’il ne semble arriver. Il ne sentit que de la douceur de la caresse de son pouce, une main qui accueillait le poids de sa joue et la réchauffait. Un coeur tendre et un regard plein de sincérité.

— moi non plus je ne sais pas.

Il était risible dans une telle position, à perdre ses mots face à un scénario qu’il n’avait pas prévu un jour de vivre, un mélodrame qui éveillait l’innocence fragile de ses sourires et ses pensées pécheresses à en faire rompre son coeur à faire résonner chaque cellule de son organisme. Mais n’y avait rien à faire, rien à dire si ce n’était qu’en accueillir son corps entre ses bras, incapable de lui répondre sans trouver les bons mots. Il aurait pu l’embrasser, commettre, honteux, ce qu’il avait déjà imaginé maintes fois, d’abord par curiosité, puis par passion incandescente qui ne semblait jamais s’atténuer.

— mais on aura le temps de trouver la réponse.

Etait-il fou d’en accepter les engagements ? de peut-être jurer avoir choisi lui et ne choisir personne d’autre ? De le serrer contre ses bras sans avoir la certitude qu’un jour il ne s’en échappe ? Il y perdrait tout à s’engager dans ce pour quoi il s’était toujours moqué, il pourrait en ressortir encore plus brisé; mais qu’importe; et qu’importeront les choses dès à présent dès qu’il s’agira d’eux. Contre vents et marées, il avait fait de jin son havre de paix.

— ensemble.

Il le savait Jin, que Tan ne pouvait voir le monde comme lui.
Qu'à sa façon, il s'était reclus dans un prisme aux embruns ouatés, une bulle cotonneuse où les Hommes, fondamentalement, pouvaient encore se parer des affres de leur beauté. Il aurait aimé pouvoir s'y abîmer Jin. A la douceur de l'instant, à se gorger des sentiments présents, qui montent et enivre, vous entoure de leur affection presque agressive. Et cette longue, longue agonie qu'est son regard s'accrochant à ses iris, une histoire étirée sans fin sous le théâtre ésotérique de ces allés mal éclairés, est sans doute la seule divinité à laquelle il aurait souhaité se vouer. Tan. Il a déchiré le voile de sa retenue et des lambeaux de sa raison virevoltent autour de son épaule, comme une traîne jurant en cet instant de son inconsistance, de son indécence. Et Jin est épris d'un homme aux yeux aveugles, aux rêves naufrages, qui maladroitement étreint son coeur de ses bras instable.

Ses doigts égaraient ses caresses sur ses joues glacées. Il en brûlait très certainement, de se laisser couler, ensevelit contre son être, le nez niché tout contre son cou, les paupières clauses, comme un pèlerin qui viendrait livrer ses dernières prières aux esprits de ses ancêtres. Il en rêvait, de ses doigts qui glisseraient sur son crâne, qui lui volerait ses sombres pensés, celles qu'il ne pouvait s'empêcher de laisser germer. Celles qui lui rappelait le chemin de solitude auquel il se condamnerait. Mais il y a ses doigts - il y a sa main qui glisse le long de sa mâchoire, le long de la jugulaire, là où pulse le sang avant de gagner le cœur ou le front. Les rêves de Jin s'infusent de lui. Il en réveil les sombres tableaux Tan, lorsqu'il s'acharne à le contempler ainsi, comme s'il avait déposer les plans de son univers entre ses mains, qu'il pouvait à loisir choisir de les chérir ou de les détruire.

— Ensemble.

L'aube se fend piteusement d'un sourire, lié d'un patchwork gris et de fantômes souffreteux. Jin, lui qui savait murmuré les doux discours, petit chocs de cotons qui lentement, viennent vous bourrer le cerveau, en éponger la bille douloureuse, préfère en conserver la pudeur de ces aveux qui n'en sont pas. De ces propositions qui ouvre une porte sans en paver les chemins, parce qu'aucun d'eux n'avait la possibilité de s'y livrer, de pleinement s'en délivrer. Ils n'étaient que le fruit de leur société. Deux mains tendus qui continuaient à s'effleurer sans savoir quand elles seraient contraintes de se lâcher.

— Mais si tu ne m'aides pas à me redresser capitaine, je risque de rester bloquer dans cette position indéfiniment.

Savoir ne lui donnait pas envie de le lâcher. Savoir ne le poussait pas à reculer. Si Nydea pouvait lui offrir le répit de ses égoïstes hérésies, Jin n'aurait l'audace d'exiger d'avantage que cet instant où il se sentait pleinement aimé, écho d'une folie passée qu'il ne pouvait s'empêcher de lui renvoyer. Tan, au visage d'ange railleur et aux yeux de diable chagrin tisserait peut être la fresque de leur plus grand malheur. Mais il faisait partit de ces histoires qu'on ne pouvait ignorer, où chaque page était l'amorce d'une damnation et la mansuétude d'une bénédiction.

Ils en étaient presque ridicule et pourtant cruellement émouvant. Avec leurs sentiments funambules qui s'unissaient avec une telle pudeur, sans sourires, sans je t’aime brandissant; seulement des vestiges de non-dits, des déclarations silencieuses qui ne se lisaient qu’entre le reflet intime de leurs yeux. à peine avait-il tenu sa main qu’il avait senti un poids faramineux qui avait compressé son torse au point de l'asphyxier, rendre ses mots presque douloureux à articuler, rendre sa vue trouble comme si tout son corps en rejetait l’idée. Idée folle qu’il serait capable de porter l’océan de leurs émotions, le crime de leur abjecte l’affection. Car jamais il ne pourra un jour brandir avec fierté ce qu’il ressentait, bomber le torse et marcher tout en se tenant à ses côtés au risque d’être rejeté comme une aberration, au crime non plus d’être trop homosexuel mais simplement d’être fou. Devenu fragment d’astéroïde d’une relation risible qui destinée à se désintégrer dans l’atmosphère de leur déception; car peut-être, qu’après la douceur des premiers instants il n’y aurait plus qu’un goût d’amertume de ne pas être capable de choisir l’autre plutôt que les siens (était-ce le péché de n’être pas assez amoureux, ou d’être trop patriotique ?)

— tanjiro.

peut-être qu’il voulait simplement en entendre la sonorité désormais, pour se conforter dans l’idée que tout ceci n’était pas une vie qu’il s’imaginait. Que tanjiro, peut-être désormais les désastres et les ravages de fiançailles capitulés serait doux à entendre, tendre, affectueux voir plaisant à être écouté. à, une fois prononcé par le fae lui ferait oublier le désastre de la mélodie d’une erreur du passé. Il attrapa délicatement sa taille avant de l’aider à se relever, évitant de toucher la trace rouge qui ornait déjà son uniforme avant d’attraper l’une de ses mains qu’il glissait par dessus son épaule pour faciliter ses pas.

Le trajet jusqu’à la sortie des sous-sols fût relativement longue, le capitaine ralentissant à chaque soupir un peu trop bruyant, se stoppant net de temps autre pour s’assurer qu’il ne s'évanouisse pas. Une fois la lumière des lampadaires de Talevir retrouvée, certitude ainsi qu’aucun regard compromettant ne risquerait de les repérer, il se tourna pour faire face à Jin pour remonter son écharpe et un peu mieux la nouer autour de son visage tout entier avant de glisser son bras derrière ses genoux et le porter.

— repose-toi.

L'ombre persistante de la bâtisse branlante est comme une mer souple et le visage de Tanjiro pourrait presque s'y perdre, pris dans les roulis tumultueux de ces ténèbres opacifiés et de leur silence angoissé. La lumière pâle des éclairages pénétrait à peine dans la pièce sans qu'il parvienne toutefois à s'en détacher, le regard englué, un troupeau de buffles sous le crâne, la langue en papier mâché et quelques morceaux de rêves. Vagues. D'un futur aux lettres d'espoirs où il n'y aurait rien d'étrange à la présence de Jin aux côtés de Tan. Un dessin un peu fou, où il lui montrerait les villes de sa douce Hyesu. Où le rythme de leur pas, l'effleurement de leur bras, meublerait la bulle de leur redécouverte. Il aurait voulu qu'il puisse traversé les âges Jin. Il aurait aimé qu'il puisse apprendre à le connaitre, qu'il soit capable d'ainsi ancrer son existence à la sienne. Que d'un regard il sente son affection palpiter dans sa poitrine comme un deuxième coeur. Il pouvait presque se l'imaginer, vieillir à ses côtés. Lorsqu'ainsi Sombrerue grignotait tout ce qu'il y avait de jeune encore sur la douceur de ses traits. Lorsqu'égoïstement, son coeur lui mentait.


— Tanjiro.

Un court silence. Silence d'une promesse qu'on ne formule, de sentiments que l'on devine sans les dire. Qu'on taira certainement jusqu'au bout, par crainte de briser cet inavouable tabou. Parce que les astres graviteront tout comme les ombres s'allongeront sans qu'il ne puisse rattacher à leur relation un quelconque sentiment de normalité. Il ne sera jamais libre de l'aimer. Tout juste de s'y oublier. Tout juste de s'y abimer, aux amours tragiques et aux mensonges pathétique.

Jin.
Il se laisse guider, sans mot dire et sans protester. Et ce même lorsque l'homme décide de le porter. Il n'y avait personne pour les voir. Il les entend, parfois, le bruit des pas qui s'éloignent, qui lentement décroissent. Jin. Il les entend les paupières closes et le nez enfouit dans l'écharpe passer autour de son visage, bercer par les battement du coeur de son cadet. Il les entend sans réellement s'en soucier, étourdit par la simple idée des sentiments qui y palpitent et qui lui sont destinés.