glory and gore

@zoya dragomir @elizaveta dragomir & @dahlia dragomir

Si elle écoutait au bon moment, elle pouvait presque l'entendre ; la symphonie du silence qui berce les tympans. Elle qui en avait eu toujours peur, elle se serait presque mise à l'apprécier au fil des saisons, symphonie qui a émergé quand les sœurs se sont éloignées de ce cœur qui aurait pourtant pu périr sans leur amour. Il y avait comme un fossé qui s'était creusé, abysse qu'on n'explique pas (ou peut-être qu'on se refuse simplement de lui concéder les clés d'un secret immuable et fatal qui briserait bien plus qu'une unique âme). Tout était devenu silencieux, et même ses broderies se peignaient de nuances moins illustres, comme si la vie était devenue plus fade, moins signifiante quand il n'y a plus ces femmes constamment à ses côtés.

Mais les mots ont résonné entre les murs de la demeure ; elles seraient réunies, ce soir, comme on ne le témoigne que peu de fois depuis longtemps déjà. Si elle savait, Lyra, que le silence était peut-être devenu un allié bien plus qu'un ennemi, et qu'elle ferait mieux de s'y perdre quelques instants encore avant qu'un orage ne s'abatte sur les tympans. Zoya serait bientôt de retour, colombe noire dont l'esprit s'est enfui il y a des années déjà. La chambre n'aura jamais été condamnée, refus de Lyra de la voir entièrement s'envoler, gamine dont le corps se perd dans les draps de la jeune sœur quand les nuits semblent trop agitées. Depuis, tout semble plus vide. Le manoir est désormais presque inhabité, seulement le temps de quelques nuits quand les femmes Dragomir ne sont pas occupées avec le Royaume des Soupirs. Et c'est peut-être elle, désormais, qui y passe le plus de temps. Poupée qui écoute les mots d'une mère dont l'ombre plane au dessus de l'âme. Devoir. Honneur.

Cette vie, au fond, ne lui convient-elle pas ? Parce qu'on lui offre une liberté précieuse, celle de la sécurité. Enfant chérie, aimée et protégée d'un monde auquel elle n’appartient pas ; n'est-ce pas par amour qu'on la rejette des affaires familiales ? Et elle sourit, toujours, gamine aux lippes d'or qui feraient pleurer les cieux, il n'y a que par sa bonté qu'elle existe, Lyra. Et lorsque, enfin, elles furent toutes réunies, le silence sembla lointain. Car même même lorsque aucun mot n'est prononcé, le bruit dans son esprit se réveille ; surement celui des souvenirs qui resurgissent enfin. « Bienvenue. » Candidement prononcé, heureuse de toutes les retrouver.

Sans comprendre que bientôt, ce serait un orage qui s’abattrait.  

(c) valruna.

@ELIZAVETA DRAGOMIR & @DAHLIA DRAGOMIR & @lyra dragomir

Mausolée familial au sein duquel l’ombre s'avère réticente à l’idée de fouler une fois encore ce dédale chthonien. Les meurtrissures spectrales paraissent à nouveau marquer son derme en guise de réminiscences indéfectibles. Rien ne saurait être en mesure de cautériser les plaies qui suintent encore d’une répugnance maladive, à l’idée de rejoindre ce caveau autrefois fief de la marâtre. Or, l’enfant des songes n’a pu ignorer indéfiniment l’appel de sa sœur, Lyra, les conviant toutes à se réunir exceptionnellement autour d’un festin. Malice innocente de la part de l’organisatrice, quand l’on se souvient que ces rassemblements furent d’une grande rareté dans leur enfance déjà.

Muse vespérale qui ne cesse de laper, des courbes de sa silhouette, le lacis enténébré de la grande Sorgue. Aux abords du manoir Dragomir, une oscillation tiraille son myocarde. Deux choix s’offrent à elle : se présenter à la porte, comme une modeste invitée. Ou s’infiltrer de force à l’intérieur de l’antre maudit, cela lui permettant de goûter un semblant d'emprise sur le royaume honni. Enharnachée de sa cape macassar, signe de son appartenance aux corbeaux, la silhouette s’escamote à la force de ses bras jusqu’à une fenêtre du premier étage. À l’aide de son attirail, l’ouverture est habilement crochetée et immédiatement, la carcasse s’engouffre dans ce qui a trait à une véritable sépulture monumentale. Quelques secondes passent avant qu'elle ne dégage son minois de sa cape, l'iris s'accoutumant à la pénombre ambiante. Ce même regard se veut désormais frugal, agrippant la moindre parcelle de souvenirs que la pièce lui offre encore. Un linceul de poussière semble engloutir sous ses plis arachnéens les meubles qui autrefois avaient accueilli ses affaires d'enfant. Seul le lit demeure immaculé, comme rescapé de cette crasse faisant office de damnatio memoriae. Zoya paraît avoir survécu dans les mémoires de ses sœurs. Un statut d'exilé qui ne prend forme que dans l'esprit inclément de celle qui lui a un jour donné la vie : seul acte miséricordieux à son actif.

Quand enfin, les prunelles azurite se lassent de dévorer les vomissures d’une enfance d’antan, les pas s’éloignent afin de rejoindre l’escalier. Cette descente, nimbée par la seule lueur d’astres lactescents, lui permet une nouvelle fois d’éponger l’agonie qui lui étreint le cœur. Là encore, les portraits de la renégate demeurent invisibles, énième coup de griffes sur son existence apposé par sa charmante mère. À la simple pensée que ce soir pourrait lui permettre de régler ses comptes, un rictus satisfait lui tord les lippes. Comme pour atténuer les remous anarchiques de son palpitant, ses phalanges survolent avec solennité les lames sciemment dissimulées ici et là sur son corps. Des gestes qu'elle termine d'esquisser lorsqu'elle pénètre enfin dans la salle de réception où l'astre inestimable erre déjà, dans l'attente de l'arrivée de ses convives. Sans crier gare, le pas auparavant carnassier se mue en une ascension impétueuse, le temps d'engloutir le néant et d'étreindre férocement l'alter ego. « C’est toi qui m’as le plus manqué, mais pas un mot aux autres. » Palabres étouffées contre la toison ambrée de sa soeur, sûrement la seule avec laquelle le louvat ose abaisser ses fortifications.

(c) valruna.