de si bonne heure

@Aruna Valois & @Victoria Valois

Un halo de lumière matinal pénètre dans la chambre et vient réchauffer la peau de ce doux visage encore endormi. Premières lueurs du jour. Appel lointain du champ du coq. Perdue dans un amas de draps, paupières qui papillonnent langoureusement, l'ange se réveille enfin de sa courte nuit. Sa main se porte spontanément à ses côtés, dans l'espoir de percevoir la chaleur d'un corps devenu familier. Son regard à peine éveillé se tourne alors sur cette place laissée libre. Souvenirs de cette nuit torride passée aux côtés du fae de la nuit, lorsque son nez plongé dans les profondeurs de ses draps parvient à capter la trace olfactive qu'il lui a laissé avant de partir. Son sourire s'écarte, irradie, illumine son visage de la plus belle des lueurs. Celle de l'amour. Complètement perdue dans ces images qui se succèdent dans son esprit embrumé, la belle peine à s'extirper de son lit qui porte encore la marque de ses ébats avec le fae de la nuit.

Ar lath ma Echo de ses sentiments qui s'échappe dans un souffle. Une larme de bonheur ose perler dans le coin de ses prunelles lorsqu'elle se remémore le doux sourire de Vladan Kaminski. Cœur qui se serre dans sa maigre poitrine. Abdomen qui souffre le martyr de sa brusque disparition. La belle se languit de sa présence à ses côtés. Elle daigne finalement s'échapper de cette chambre impersonnelle après s'être apprêtée dignement pour rejoindre les siens dans les étages inférieurs.

A la recherche de cette ombre invisible dans les couloirs du Palais des Roses, bercée par l'espoir de le revoir une dernière fois, la plus belle des fleurs du Printemps traîne et se fait attendre. Carnation rosée qui emprisonne ses pommettes saillantes. Iris luisant encore de passion. La jeune Valois apparaît enfin dans le petit salon, sous le regard perçant d'une mère, et celui beaucoup plus doux d'un père. Bonjour. Ses orbes d'encre captent celles de sa génitrice, visiblement bien trop impatiente de la voir de si bon matin. Comportement qui ne lui ressemble pas. Le doute et la suspicion s'installent sur les traits de Victoria, qui tente de trouver de l'aide près de son père. Ce dernier se contente simplement de s'asseoir sagement dans un coin de la pièce, abandonnant presque officiellement sa fille aux griffes de sa femme. Longue soirée mère, vous avez raison. Les invités ont eu du mal à quitter le Palais d'après ce que j'ai pu entendre. S'exclame-t-elle, tel un joyau d'innocence. Lèvres scellées de prudence, la jeune Valois acquiesce d'un signe de la tête et s'approche la théière. Sa main posée sur le revêtement en argent lui permet de comprendre que tout ceci n'est qu'un jeu de dupes. Tout est froid, comme le maigre sourire que lui offre sa génitrice.

Bouche tordue dans une expression dubitative, Victoria se sert quand même une tasse de thé froid et rejoint les siens dans cette table ronde des aveux. Le regard perdu sur ce liquide ambré, elle semble attendre sagement de recevoir reproches, critiques, ou interrogations, de la part de sa mère. Au bout de quelques secondes d'un silence pesant, durant lequel elle sent bien le regard de ses parents se porter sur sa maigre silhouette, Victoria redresse enfin son visage faussement détendu dans leur direction. Qu'est-ce qui nous vaut une telle réunion de famille ? Dois-je aller chercher quelques pâtisseries dans les cuisines pour agrémenter ses charmantes retrouvailles ? L'ironie insolente suinte de ses paroles. Victoria se prépare au pire.

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Ce cher Nathan. Toujours serviable. Iris d'encre perdues dans ses jumelles qui la fixent avec intérêt depuis son arrivée, la jeune Valois sent poindre le menace d'un orage destructeur. La voix délicate et mesurée de sa mère s'échappe dans les hauts plafonds à la manière du chant mélodieux d'un oiseau de proie. Destructrice. Menaçante. Il me semble l'avoir entendu m'appeler, effectivement. J'étais hélas perdue dans mes pensées, je n'ai pas pu lui répondre. Mensonge éhonté parfaitement maîtrisé. Aurait-elle pu se douter que l'ombre prédatrice de son aîné avait été envoyée par sa propre mère inquiète de la voir disparaître dans les étages avec un inconnu ? Sans aucun doute. Ses iris sévères illustrent parfaitement les émotions qui parcourent son esprit face à ce mensonge entièrement assumé qu'elle lui sort d'une voix innocente.

La matriarche domine l'assemblée familiale avec prestance. Elle est la maîtresse de ce royaume qu'elle a vu naître entre ses cuisses. Face à cette enfant qu'elle croyait modelée à son image, mais qui n'est en réalité que le pâle reflet de ce qu'elle aurait dû être, la déception grandit. Son regard dur se porte sur sa descendance qu'elle examine avec soin, à la manière d'un artiste qui examine son oeuvre inachevée. Voilà que la jeune Valois sent une vive tension naître sur ses épaules, qui grandit à mesure que les paroles de la matriarche défilent dans ses oreilles attentives. Ses traits s'effacent peu-à-peu. Son teint blêmi. Ses lèvres se tordent dans une moue perplexe alors que les images de la soirée de la veille défilent dans son esprit naïf. Elle sait. Elle sait tout. L'évidence semble se dessiner à mesure que le discours de l'ancienne reine se précise.

Faussement sereine, Victoria se délecte de ce fond de thé froid immonde sans quitter de ses prunelles embrumées l'ombre de sa mère qui se glisse à ses côtés. Dans un ultime geste pour gagner du temps, elle s'humecte délicatement les lèvres et laisse ses prunelles sombres se perdre sur la silhouette presque invisible de son paternel. Soutien indéfectible de son épouse, le mâle alpha se tait religieusement. Il est présent sans réellement l'être. Spectateur dans ce combat des héros, son ombre bienveillante admire le combat d'une mère dans l'éducation de leur fille insoumise.

Cette pièce dramatique n'a que trop duré pour la fae du printemps qui sent aisément venir les premiers orages dans le ciel nuageux. Presque inquiétés ? Marmonne-t-elle avec rigidité. Victoria pose bruyamment sa tasse à moitié pleine sur la table et observe alternativement son père puis sa mère. Je crois que vous n'avez jamais eu à vous plaindre de moi. Par Hélion. Je ne vois pas ce qui mérite pareil jugement. Réaction impulsive totalement incontrôlée, la fae se relève de son assise pour faire les cent pas dans la pièce. Sa main portée dans sa chevelure ébène s'échappe pour venir masser la tension naissante dans le creux de sa nuque. Son attention se reporte rapidement sur ses parents moralisateurs. J'ai disparu. Oui. Pendant une heure. Ou deux. Mensonge, encore. Mais je n'ai rien fait d'illégal. Rythme cardiaque qui s'accélère à mesure que le temps s'écoule. Le combat ne fait que commencer. Je ne me sentais pas à mon aise, j'ai préféré m'écarter des invités. Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à cela.

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L'étau se resserre, doucement, et devient douloureux, inconfortable. La lionne tourne dans sa cage, perles sombres de la prédatrice qui parcourent les gradins de l'arène, sous les hurlements lointains de la foule en liesse. D'un côté une mère soucieuse qui domine l'espace par son charisme et sa prestance naturelle, de l'autre un père qui se contente de fixer les deux adversaires de son œil compatissant. L'échappatoire se referme à mesure que le discours s'éternise. La scène se rejoue à l'infinie, la belle a déjà l'air de connaître l'issue de l'histoire comme si elle l'avait déjà lue. Les orbes jumelles de la matriarche toisent avec sévérité la silhouette gracile de l’ingénue qui s'excite toute seule au centre de la pièce. Un seul mot, à la manière d'un coup de tonnerre, la pousse à reprendre sagement sa place. Elle s'exécute la belle. Mine basse qui semble illustrer une parfaite docilité. Victoria tait sa frustration, poings perdus dans les jupons de sa robe. Elle attend le jugement fatal de sa génitrice, bien plus au courant de la situation qu'elle ne le laisse paraître.

Le discours se poursuit. Tranchant. Autoritaire. Sans pitié. Son ton moralisateur énerve la jeune fae qui ronge silencieusement son frein pour retenir sa verve insolente. Regard rivé sur ses genoux pour ne pas croiser le feu de celui d'Aruna, Victoria sent la pression se faire de plus-en-plus forte sur ses maigres épaules. La leçon s'éternise, encore, toujours, épuisant le fouet de la correction à chaque claquement de langue. Elle semble attendre vainement l'aide de son paternel qui continue de soutenir à corps perdu sa tendre épouse dans son action de grâce contre leur progéniture. Enfant gâtée, pourrie jusqu'à la moelle, Victoria est peu habituée à ce genre de remontrance qu'elle pense inadaptée à une femme de son âge et de sa classe sociale. Joues rougies par la colère et bouffies d'irritation, la Valois sent sa gorge se serrer face à la difficulté de retenir ses mots contre ses parents. Elle sait la portée que ceux-ci peuvent avoir, et elle craint de ne plus pouvoir se contrôler.

Ses pupilles se redressent lentement pour fixer cette pomme retenue contre son gré entre les griffes de la matriarche. Ongles qui s'écrasent sur sa surface à la manière d'une guillotine sur le cou d'un condamné. La menace est latente, elle envahie progressivement l'espace. Le fruit est finalement libéré de son calvaire pour être reposé sur la petite table, toujours au centre d'un conflit qui le dépasse étrangement. Je comprend votre étonnement. Finit-elle par avouer au bout de longues secondes d'un silence religieux. La fae se redresse sur sa chaise, croisant à nouveau le regard stricte de sa mère. Vous avez raison, gagnons du temps voulez-vous. Je n'ai pas toute la matinée, et vous non plus. Inutile d'aller embêter les gardes du palais. Son ton se fait plus insolent, à la limite de l'irrespect, alors qu'elle daigne à peine reporter son attention sur la matriarche Valois qui semble avoir du mal à garder sa patience. Commençons par le début. Vous m'avez vu partir avec un invité, et vous voulez savoir qui c'est. L'abcès enfin percé, le liquide nauséabond s'écoule progressivement de la plaie, libérant la blessée d'une pression inconfortable et douloureuse.

Silence latent qui s'impose merveilleusement dans cette ambiance dramatique. Œillades qui s'entrecroisent avec nervosité, Victoria sent qu'elle a touché un point dans ce jeu d'influence qui s'est imposé à elle. Après s'être délicatement humectée les lèvres, elle enchaîne sur ce même ton relâché. Un invité parmi tant d'autres. Une connaissance que j'ai ajouté sur la liste de nos convives pour profiter de sa présence. Victoria sent bien le regard de sa mère s'assombrir au fil de son discours. Peu importe. Elle continue. Quelqu'un qui m'est très cher et qui mérite que je fausse compagnie à l'Ordre des Cendres pour lui tenir compagnie, de façon très intime. Inutile de vous faire un dessin, vous savez déjà où on a fini la soirée. Petit raclement de gorge avant de conclure dans un murmure à peine audible. Sinon vous n'auriez pas envoyé Nathan rôder du côté des chambres d'hôtes.

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Les mots de la fille dans l'oreille de la mère protectrice sont durs. Cruels. Impitoyables. Ce regard lourd qu'elle lui porte, semble balayer le temps de ces retrouvailles mouvementées l'auréole de sainteté qui autrefois trônait sur son crâne sombre. La belle déballe son discours avec légèreté, sans mesurer son langage face à la Dame de Valréal. Impureté et effronterie qui suintent de ces lippes si adorables, tandis que de l'autre côté, le paternel désabusé admire la scène puis se contente de fuir l'entretien. Le combat. Une modeste attention se porte sur cette ombre glissante, sur cette disparition pleine de lâcheté qui illustre la brutalité du combat qui oppose les deux combattantes. La fille qui porte l'étendard de sa libération. La mère qui retient et resserre toujours un peu plus le collier des traditions dans l'espoir de juguler l'instabilité de sa descendance. Engeance céleste aux portes du monde des enfers, Aruna semble peiner à retenir son calme face aux aveux de sa prunelle.

Sans être un trésor de clairvoyance, Victoria sent bien que sa mère s'enfonce petit-à-petit dans son assise, que la température de son corps chute dangereusement à l'écoute de ses aveux. Princesse du printemps qui ose se fourvoir dans le stupre avec un inconnu, alors qu'un avenir bien plus honorable pourrait lui être destiné. Loin de l'ombre, aux mains d'un fae digne des anciens Magistaires de la cour du printemps. Elle sent bien à travers cette réponse pleine d'amertume qu'elle lui rend, que la mère traîne la déception de la libération de sa fille. Menton relevé dignement face à sa mère, la fille se prépare à recevoir un à un les éclairs de la foudre qui menace de s'abattre sur elle. Sobriété dans ce regard qu'elle lui offre, Victoria accepte de délier sa langue face aux interrogations du sergent chef naturellement désigné. Inutile de savoir son nom, vous ne l'apprécierez pas d'avantage. Marmonne-t-elle, le souffle court, tandis que ses iris papillonnent librement et s'écartent des feus ardents qui tentent de capter son attention. Pour la rappeler à l'ordre. Pour la ramener dans les sphères de la bienséance et du respect.

Ce n'est pas qu'une simple idylle. Mère. Nous nous connaissons depuis des années. Pour ce qui est du mariage, je crains que notre nom n'est pas facile à porter lorsqu'il s'agit de parler union. Sa voix se fait murmure à la fin de sa phrase, comme une évidence difficile à avouer, et pourtant si aisée à comprendre. Les Valois. Faes rejetés de tous après la trahison qui les a mené à la perte de leurs terres. Lèvres pincées dans une moue de frustration, Victoria daigne finalement reporter ses deux perles noires sur le visage de sa tendre mère, confidente malgré elle d'un amour enfin dévoilé. Vous en parler ? La belle retient ce rire théâtral qui s'estompe dans ce rictus à peine forcé qui étire ses lèvres. Je crains que vous en parler ne l'aurait pas rendu plus acceptable à vos yeux. Que vous auriez sans aucun doute été capable de m'unir de force au premier fae du printemps sortit d'un champ juste pour éviter que nous continuions à nous voir. Le glas de la vérité semble retentir derrière les paroles si sincères de la jeune Valois. Une peur évidente, celle de ne plus pouvoir revoir l'homme qu'elle aime. Vladan Lantsov.

Comblant le silence par le sifflement de sa respiration, Victoria se réinstalle plus confortablement dans son assise, le regard toujours accroché à la spectatrice de ses confidences. Elle continue. Je l'aime, mère. A en mourir. C'est évident que cela ne changera pas, je n'ai jamais ressenti ça pour quiconque. Douceur et tendresse qui perlent dans le coin de ses lèvres, la jeune Valois ouvre son cœur de la plus pure des manières à sa mère. Je reste convaincue que cet homme est le meilleur parti que vous puissiez me trouver. Il est doux, intelligent, tendre et dévoué. Il a ce petit quelque chose de spécial qui le rend si parfait à mes yeux : son innocence. Ce regard qu'il peut me porter, qui me fait sentir unique. Et aimée. Dans ce monde où les Valois sont conspués pour leur traîtrise, l'amour est devenu une ressource rare et précieuse que chérie Victoria.

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