ghost from the past /nathan&siora.

Le Palais des Roses était magnifique. Elle l'avait déjà visité quinze ans plus tôt et la gamine qu'elle était alors avait été subjuguée. Elle n'avait pu détacher son regard de ses tours colorées, de ces fleurs présentes absolument partout. Elle s'était même arrêtée, ne pouvant se résoudre à abandonner cette vue mais sa mère l'avait alors tiré sèchement en avant. Elle avait été déçue de ne pouvoir savourer cet instant de découverte plus longtemps. Aujourd'hui, le palais était son quotidien. Depuis deux ans, elle pouvait apercevoir tous les jours le haut des tours qui se dessinaient en fond de la ville, sublimant les rues pavées de la cité. Elle se sentait chez elle, à Valréal. Bien plus qu'à Astragan. Certes, il y avait sa famille, il y avait Neia.. Mais ici, elle pouvait être elle-même. Enfin, plus que là-bas. Elle n'était plus obligée de prétendre être une fille parfaite dans une famille parfaite. Elle n'était Siora, soldat de l'armée. Bonne dans ce qu'elle faisait. Point. Pourtant, parfois son nom la rattrapait, mais elle parvenait de plus en plus à s'en détacher, à faire ses preuves en tant qu'être à part entière.

Aujourd'hui, alors qu'elle pénétrait au sein du palais, elle ne s'arrêta pas pour observer, elle ne ralentit même pas le pas. Son armure sur le dos, elle n'était  plus cette gamine émerveillée. Elle aurait aimé, mais ne peut se le permettre. Elle se présenta, avec son collègue, à l'entrée et ils furent tous deux rapidement amenés au deuxième étage. Cet étage était réservé aux affaires concernant le lyrium, elle ne l'avait apprit que récemment. Avant cela, elle n'avait jamais été missionné pour effectuer ces visites de contrôle. C'était seulement la troisième fois qu'elle venait.. Et quelle ne fut pas sa surprise, la première fois, lorsqu'elle se retrouva nez à nez avec le fae qui avait sauvé sa vie quinze années plus tôt.. Lors de cette fameuse visite à Valréal. Elle ne connaissait pas son nom alors, ayant juste mémorisé ses traits dans sa jeune mémoire. Comme aurait-elle pu oublier l'être qui lui avait évité la mort ?

En parlant du loup.. Elle entendit des pas derrière elle et découvrit encore ce même visage. Elle garda la maîtrise de ses émotions, portant le masque parfait, sans aucun défaut, d'un soldat digne de ce nom. Elle salua celui qu'elle connaissait désormais comme Nathan Valois d'un signe de tête bref mais respectueux. Elle savait qu'ils avaient statut particulier et même s'ils devaient être surveillés, comme tous les autres, ils n'avaient pas réellement le même statut. Cela ne leur éviterait pas l'échafaud s'ils venaient à commettre une faute grave, ils restaient des fae, après tout. Ils échangèrent quelques banalités et le collègue de Siora s'éloigna en compagnie d'un autre fae qui lui présentait plusieurs documents.

Elle était seule, en tête à tête, avec Nathan Valois. Elle ne parvenait pas à dissocier son nom de son prénom, comme si c'était un seul mot. Nathan Valois. C'était si étrange, au bout d'autant d'années, de s'être retrouvée face à lui. Elle n'avait rien dit, ce jour là. Personne n'aurait pu deviner le raz-de-marée d'émotions qui l'avait alors submergé. Elle avait su conserver son masque avec brio. Aujourd'hui, elle avait l'opportunité de lui parler. Vraiment lui parler. Pas de banalités. Et puis, le courage aussi. Perturbée, elle ne savait comment entamer cette conversation, ne sachant même pas s'il avait gardé le souvenir de cette gamine perdue en pleine forêt d'Emeraude, il y a si longtemps. Il était vrai que les fae n'avaient pas le même rapport au temps..

Elle leva ses yeux bruns vers lui et constata qu'il l'observait. Comme s'il attendait la suite de l'entrevue, sa prochaine question, sa prochaine demande. Elle se lança alors, un peu maladroite, son masque se fissurant très légèrement. « Je.. Je crois que l'on s'est déjà rencontrés.. Il y a quinze ans, environ. » Elle ne le croyait pas, elle en était absolument sûre. Ce visage était gravé à jamais dans ses souvenirs. « Dans la forêt d'Emeraude..? » La fin de sa phrase ressemblait presque à une question. Elle préférait ne pas trop en dire au cas où sa mémoire lui aurait vraiment fait défaut. Au cas où il aurait voulu feindre ne pas s'en souvenir. Au cas où. La méfiance collée à la peau, elle attendait de voir sa réaction avant d'aller plus en avant.

La porte de sa chambre s’ouvrit, trois coups s’étaient abattus sur le bois et le nouvel héritier de la famille Valois avait accepté d’être dérangé durant cet instant de tranquillité. Allongé sur son lit, les gazouillements des moineaux présents dans la volière s’accentuèrent. L’un des nombreux domestiques du Palais des Roses fit son apparition dans le territoire du traitre. Un sourire forcé aux lèvres, il informa Nathan par quelques mots ; la venue des soldats de l’armée rouge. Tous deux savaient ce que signifiaient la présence de ces chiens de l’empereur, ou plus précisément du Pacificateur. Cet homme qui semble posséder une position plus importante que ce qu’il pourrait le prétendre. C’est en tout cas la pensée du « jeune » Fae, pourtant âgé de plus d’un siècle. « Enferme-le dans sa cage avant, et n’oublie pas le drap noir s’il te plaît. » Aucun besoin de précision, ils savent tous deux ce que concerne cette phrase. Volatile rare au chant envoûtant, pièce maîtresse de la collection d’oiseaux de Nathan. Ce rarissime que peu de soldats ont eu l’occasion de d’admirer, le drap s’écoule le long des barreaux lorsque les réunions s’éternisent.

Le membre du personnel de maison disparut. Nathan s’arrêta un instant devant le miroir. Il peaufine sa présentation ; un costume trois pièces bleu roi, une chemise blanche. La porte s’ouvre à nouveau, il ajustait sa chemise. Son père se présente à lui, prêt à rejoindre les membres de l’armée qui doivent, à présent, se trouver dans la « salle de réunion. » Une brève conversation, Beau Valois présentera les quelques documents tandis que son héritier confirmera les bons fonctionnements logistiques, ainsi que les chiffres par rapport aux quantités rapatriées dans les laboratoires de recherche. Ils n’ont besoin de savoir plus.

La démarche assurée, la pensée se concentre sur la respiration. Une certaine crainte de mal faire, sûrement. Il aperçoit deux personnes, un soldat qu’il a l’habitude de voir dans l’enceinte du château. Un homme agréable, cela fait plusieurs mois qu’ils se côtoie par rapport à la mission familiale et une femme, nouvelle venue entre ces murs majestueux. Il est possible que le nouvel héritier Valois l’ait déjà croisée dans les rues de la ville, mais cela ne fait que trois fois qu’elle est présente en tant que soldat « dédié aux Valois », comme il aime les appeler.

L’entrevue se déroule correctement jusqu’à ce que le silence s’installe. Aucune réponse aux dires du fae, il attend une réaction de la part de ce nouveau soldat. Il se doute que ça ne doit pas être spécialement facile de se retrouver dans ce genre de situation ; main de l’armée qui ne peut abattre l’un de ces « ennemis. » Un haussement de sourcils tandis que les paroles sortirent difficilement du gosier de cet autre ;  « Je.. Je crois que l'on s'est déjà rencontrés... Il y a quinze ans, environ. ». Il ne sait que répondre. Le faciès reste stoïque, la mémoire s’active. Quinze ans… Il est de ces êtres dont les années ne sont qu’une succession de jours. Après tout, il lui ressemble physiquement tandis que le siècle d’existence a été dépassé il y a peu. « Dans la forêt d'Emeraude..? » Il ne sait que dire, méfiance d’un traquenard dont il ne pourrait se retirer. Le seul mot qu’il arrive à prononcer n’en est absolument pas un. « Ha ? » Cette jeune femme n’était alors qu’une fillette à l’époque, pense-t-il sur l’instant. Le déclic se fait, serait-ce ? La principale concernée de son acte d’héroïsme ? La lèvre inférieure se décale légèrement sur la gauche. Il se trompe peut-être entièrement, surtout qu’il n’est plus en totale possession de ces souvenirs. Il se souvient avoir sauvé quelqu’un, mais les détails se sont évaporés avec les années. Il n’ose se précipiter, lançant simplement quelques mots histoire de ne pas paraître stupide s’il venait à se tromper. « Le mosopus ? » Peut-être en a-t-il déjà trop dis, si ce n’est le cas elle répondra simplement un non et lui donnera de plus amples informations sur cette dire rencontre.