A small measure of peace (imany)

A  small measure of peace To see a World in a Grain of Sand And a Heaven in a Wild Flower Hold Infinity in the palm of your hand And Eternity in an hour

Elle est épuisée Cosima. Le temps lui manque. Le temps la mange. L’obsession la ronge jusqu’à passer les barrières de la chair et d’aller s’attaquer aux os. Elle sait sa tâche impossible, Cosima, mais la plupart du temps elle avance. La tête haute et les yeux durs. Une armure autour de ses traits et le mensonge pour faire croire qu’elle se détache du monde. Mais parfois elle flanche, la blonde. Pour beaucoup cela passe presque inaperçu. Un simple frémissement de ses paupières. Une posture qui vient trembler un instant avant de redevenir stoïque. Un instant de vérité sur les traits avant qu’ils ne se fassent à nouveau aussi lisse que de l’eau. Eux ils ne voient pas. Ils ne cherchent pas. Mais intérieurement, Cosima s’écroule.

Elle a pris l’habitude d’endurer. D’encaisser. Mais personne ne peut supporter éternellement. Alors elle s’écroule, le corps frêle qui se fait poupée de chiffon et qui vient s’échouer contre le sol froid. Les larmes encore et encore et les cris jusqu’à ce que la voix se fasse rauque et déchirante. Et puis quand elle a fini, elle se relève, Cosima. Epoussète la poussière de ses vêtements. Fixe précautionneusement sa chevelure de façon à cacher son imperfection. Passe de l’eau froide sur ses paupières jusqu’à ce que le rouge daigne quitter ses yeux. La blonde efface toute preuve pour que nul ne puisse se douter de rien. Tant qu’ils ne savent pas, elle n’est pas cassée. Tant qu’ils ne voient pas, elle n’est pas brisée. Et puis elle part. S’évanoui dans la nuit, en laissant un simple mot derrière elle. Mensonge encore lorsqu’elle dit être partie chercher des ingrédients. Au lieu elle fuit. Laisse tout derrière elle. Ses échecs passés. Ceux à venir. Elle cherche à oublier pendant un bref moment, Cosima.

Cassée jusqu’à ce qu’elle puisse se réparer. Fragile avant de pouvoir se réparer. On lui a dit mille fois que les forts sont ceux qui plient mais ne se cassent pas. Elle se brise pourtant facilement, Cosima. Peut-être un peu trop souvent. Mais elle ramasse chacun des morceaux elle-même. Dissimule les fêlures du mieux qu’elle peut. Et elle connait la personne parfaite pour l’aider. Imany. Tout ce qu’elle voudrait être et tout ce qu’elle n’est pas. Imany c’est un moment de calme. Un moment de paix. L’assurance de ne pas se faire juger. Une présence qui évoque le repos. Alors quand elle s’enfuit c’est souvent dans sa direction.

Comme aujourd’hui.

Pourtant elle déteste l’endroit où elle vient poser l’ancre. La promiscuité. Les oreilles qui trainent. Les inconnus et la propreté relative. Tout le contraire de ce qu’elle est. Mais c’est aussi l’endroit où elle peut se relâcher. Quoi qu’elle fasse elle se sent acceptée. Et c’est un cadeau en soit. Alors quand elle se glisse sans un bruit et qu’elle aperçoit la silhouette familière c’est toujours un soulagement. Imany ne reste jamais à quai trop longtemps. La brune à un verre entre les doigts. La voix est un peu rauque quand elle vient s’exprimer. « Tu en as un pour moi ? ». Elle sait que sa présence ne choquera pas. Le rituel est familier depuis le temps qu’elles se connaissent. Elle vient l’ombre d’elle-même et repart avec une volonté de fer. « Je pensais peut-être rester ici quelques jours … ça te convient ? ». Elle ne précise pas pourquoi. Ne préfère pas. Pas tout de suite. Peut-être plus tard, quand son amie l’aura infusé de ce sentiment de liberté qu’elle sait si bien distiller.

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AVATARS PAR corvidae et alcuna licenza

Le Duc est plein de tapages. Lorsque le Jack o’ Spade déverse son équipage par les îlots misérables d’Alta Mar, la vieille épave suinte une vie grouillante, populeuse et bruyante. C’est le même cirque continu, sans qu’aucun des pillards ne paraissent se soucier que ce fût la soirée ou le matin, ou déjà la soirée du jour suivant. Tous les bruits – le vagissement des conversations avinées, le sabre frotté contre une pierre à gros grain, les jérémiades de la coucherie vite expédiée – sont amplifiés et conjugués depuis le fond de la cale jusqu’à l’entrepont tapissé de feuillages et crevé par les branches. À l’abri de cette jungle, l’atmosphère traîne une humidité des plus fraîches, si bien que les pirates font constamment cramer de la broussaille dans des vieux braseros intercalés ça et là, entre les carcasses ramollies et les coffres remplis à ras bord de babioles. Imany a le pied sur l’un d’eux, l’un des plus encombrants, dont la chaleur lui mord délicieusement la semelle afin de lui rappeler qu’elle est toujours vivante – qu’elle est encore capable de sentir quelque chose. Affalée dans un hamac, bien en vue de son équipage, elle se balance un peu en poussant sur le brasero, un verre crasseux plein de vin tiède coincé dans la paume.

« On devrait écouler ce qu’on a, est en train d’ergoter une fae, debout à côté d’elle. C’est pas grand-chose mais à chacun sa part, et tu seras tranquille. » Bercée, paupières mi closes, Imany rumine d’autres sentiments que le contentement de son équipage, ce qui est toujours la pire idée disponible, spécialement dans le repaire pirate. « Ça faisait longtemps, continue l’autre face au silence obstiné. Tout le monde est ravi de mettre pied à terre, de boire et de… tu sais. » En temps normal, cette pruderie aurait tiré un rictus malveillant à l’avachie, ce qui ne semble même pas sur le point d’affleurer aux commissures d’Imany. « Pour l’amour d’Edhar, Ethra... va boire et baiser ma part. » Sur le même ton de lassitude que sa mère avait quelques fois pour elle, Imany lui lance un de ces regards qui ne regardent pas et, d’un coup de coude, enfonce deux coussins dans son dos. Elle est à s’installer plus à son aise quand ses oreilles de fae accrochent une tierce voix dans le vacarme. Les deux pirates tournent le museau vers Cosima. « Viens t’asseoir, lui sourit Imany en jaugeant un caisson à peu près confortable tout près d’elle. » Sa figure opère un tel contraste, sur quelques centièmes de seconde ramassés, qu’Ethra doit ravaler un feulement. Cette dernière se contente d’une salutation polie – « Cosima. » – puis, sous l’ordre silencieux de sa capitaine, elle s’efface en traînant les talons (et finit même par latter le flanc d’un de ses comparses, vautré en travers de son chemin, d’un coup de pied). « Fais pas attention à elle, et prends ça. » Imany cale son propre verre entre les phalanges de la jeune apothicaire et se laisse tomber de son hamac. Si elle s’éloigne assez pour se verser une autre lampée de mauvais vin, ses pupilles ne quittent jamais réellement Cosima. Elle a très bien entendu la requête – et elle l’accepte sans condition. Prenant son temps pour refluer vers la fae de l’Automne, elle la jauge avec un sourire obscur. « Installe-toi où tu veux, lui offre-t-elle en se hissant de nouveau dans son hamac. » Cosima a toujours été un mystère. Elle soulève des sentiments partagés dans les entrailles d’Imany, à commencer par une bienveillance qu’elle ne maîtrise pas bien et qui déborde ses réflexes et ses habitudes. Assise sur le bord, la fae de l’Été tend deux doigts vers la blonde, replaçant une mèche rétive derrière son oreille. « Bois un coup, Imany l’encourage en poussant au cul du verre de Cosima. On s’sent toujours moins merdique après. »

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La première fois qu’elle est venue Cosima, elle n’a pas bougée pendant quelques minutes. Epouvantée. Par la promiscuité, les gens les uns sur les autres, le manque d’intimité dans lequel ils ont tous l’air de se complaire. La chaleur constante qui semble s’infiltrer par tous les pores de la peau, l’odeur légèrement rance de la sueur. Les uns qui se pressent aux autres au détour de chaque pièce, qui touchent. Trop nombreux pour qu’elle puisse lire sur les lèvres de tous, l’éclairage toujours tremblant, ne permettant pas, bien souvent, de pouvoir discerner chaque parole. L’angoisse donc comme premier sentiment, une chape de plomb accablante sur les épaules et l’étau qui se resserre autour de sa poitrine. Sur le moment elle a presque fui, décidant de rester uniquement car l’alternative lui semblait impossible.

Mais elle s’est habituée. Petit à petit. Ce qui lui semblait insurmontable est devenu agréable. Elle a abandonné le contrôle auquel elle s’est toujours accrochée. La blonde est désormais à peine choquée par ce qu’elle voit. Certes jamais dans son élément, mais suffisamment à l’aise pour ne plus se laisser impressionner par si peu. Au contraire la vue est désormais bienvenue, le symbole de son arrivée vers des eaux plus calmes, ou ce qui est dit est ce qui est. Un changement rafraichissant lorsqu’on le compare au monde de faux semblants dont elle est issue. Une bouffée d’air frais pour elle, qui a pris l’habitude de transformer ses traits en acier. Ici on se moque bien d’elle, de sa difformité. On se moque d’où elle vient tant qu’elle n’insulte personne et n’apporte aucun danger. Elle pourrait presque être invisible, Cosima. Presque. Après tout, les pirates demeurent sur leurs gardes et une étrangère ne peut jamais réellement passer inaperçue quand bien même ses allers et retours sont réguliers.

Elle fait un signe de tête à Ethra, poliment. Pas grand-chose à se dire, pas grand-chose en commun. Elle perçoit une once de désapprobation ? Peut-être … qu’importe. Elle se fixe sur les traits d’Imany, sur chacune des paroles prononcées, un murmure indéchiffrable si elle ne pouvait pas les discerner sur ses lèvres. Sa main vient agripper le avant d’en prendre une lampée, les traits tournée dans une apparence presque comique. « Je ne comprends pas pourquoi tu insistes toujours pour boire ça ». L’habitude du bon vin ne se déloge pas facilement et celui semble avoir des saveurs de vinaigre plutôt que de raisins. Sur le conseil de la brune, elle s’installe contre un coussin, en face d’Imany de façon à ne pas la perdre de vue.

« C’est pas un verre qui va me falloir, c’est une bouteille. » Ton amer et regard perdu. Elle ne sait plus comment avancer Cosima. L’impression constante de couler, de hurler sans que personne n’écoute jamais. Une autre gorgée acide qui vient lui piquer la gorge. « Tu fais quoi toi, quand tu te sens au pied du mur ? » Elle échoue, Cosima. Elle peut presque le sentir, le goûter. Mais si elle échoue, il restera quoi d’elle ? Sa vie elle la construite comme ça Cosima. La réussite ou rien. « Je me sens perdue, bloquée. J’arrive à rien. » La voix s’éteint presque et elle détourne les yeux. Presque honteuse de ne pas être autant que ce qu’elle aurait dû être. Comme craintive du jugement d’Imany.

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Le vin est à peine tiré qu’il est critiqué, et un rictus acerbe éclate dans la lèvre :

« Je ne comprends pas pourquoi tu insistes toujours pour boire ça.
- Sauf si Madame cache du millésime sous sa jupe, c’est tout ce qu’il y a. »

On n’a pas exactement habitué Imany aux crus qu’il convient de savourer plutôt que de les siphonner jusqu’à la lie. En fait, le palais a été si méthodiquement bousillé par cent ans de picrate qu’elle ne reconnaîtrait pas un bon vin, même s’il lui était versé dans une coupette et servi par un bonhomme en costume. Ce n’est pas que la pirate s’en plaigne car, l’alcool, du moment que ça fait le travail de sape, on ne lui demande rien de plus. Au reste, ça a à peu près l’air de ce dont Cosima a besoin en cette heure : moins une dégustation qu’un bon black-out duquel repartir. « T’en fais pas, s’essaie à la rassurer la capitaine sans la lâcher des yeux. On a descendu trois tonneaux du Jack, il y a de quoi en saouler mille des comme toi… » Il ne faut pas parier que l’équipage lui en laissera autant, mais c’est affaire de dire qu’une fois à quai, le mauvais vin ne manque jamais. C’est curieux, au demeurant. On peut manquer d’hommes et de femmes, d’armes, d’argent, et même parfois de son poids en sang, mais jamais de l’immonde vinasse, comme s’il était aussi essentiel à ces bougres de pirates que l’air et l’océan ; ainsi a-t-il été prodigué en quantité.

Bien qu’elle essaie avec une certaine sincérité, Imany ne sait pas lire dans l’expression de Cosima. D’une manière générale, elle n’est pas très habile avec les sentiments des gens. Elle sait flirter, manipuler, négocier, découper, ergoter, et quelques autres services pas inutiles, mais son empathie convole dans les profondeurs. Ça lui a toujours paru d’une inextricable complexité – quand ça n’était pas carrément impossible – de se mettre à la place de quelqu’un. En ce qui la concerne, on est chacun·e une chose à part entière, bien à soi et tout à fait cryptique pour le restant du monde. À la longue, cependant, il s’est construit une chose inhabituelle mais tout à fait tangible, d’un acabit sensible, entre la fae de l’Automne et elle. Alors elle prend la peine d’y réfléchir, Imany, mais : « Je fais d’ces trucs qui marcheraient pas pour toi, elle admet avec la moitié d’un rire goguenard. » Comme, dans l’ensemble, cela consiste à ne porter ni fringue ni dignité, elle s’abstient d’en dresser la liste devant Cosima. « Mais je bois et je cause à quelqu’un qui veut bien écouter, lève-t-elle un peu son verre. »

C’est faux. Imany ne parle à personne. Elle est verrouillée à tellement de niveaux que certains tronçons de son esprit doivent avoir des secrets pour les autres. Pour Cosima cependant, elle peut bien faire semblant.

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Le postérieur est par terre, le dos mal calé contre un coussin au matériel trop fin et la jupe largement étalée autour des jambes. En un clin d’œil, n’importe qui peut voir qu’elle n’a absolument pas sa place ici, Cosima. La peau est diaphane de celles qui ne s’approchent pas du soleil à moins d’en être absolument obligée, à mille lieux de celle des pirates, habituellement tannée par les rayons ardents et le sel. Elle se tient trop droite la blonde, tentant de se faire la plus petite possible au sein d’un univers où l’on rit à plein poumons pour se sentir exister. Même les cheveux sont emprisonnés contre son crâne, coiffure soigneusement contrôlée pour masquer la plus grande partie de ses oreilles, ou plutôt de son oreille. Elle dénote, donc, Cosima, au milieu de l’image de liberté sauvage que peut posséder l’endroit.

Mais qu’à cela ne tienne. Elle dénote partout, la blonde, incapable de savoir se faire une place en imitant les autres. Ici au moins il y a à Imany. Imany qui ne lui ressemble en rien, si libre, si fière, si intimidante pour la fae au visage poupin, mais une Imany qui fait toujours de la place dans le capharnaüm qu’est sa vie pour libérer un peu d’espace pour Cosima. C’est bien plus que ce que la majorité à fait. Elle se sent toujours un peu mieux à ses côtés. Un peu plus libre, même si cela ne dure vraiment jamais. Un petit rire quand Imany lui demande s’il a cavé de l’alcool sous sa jupe, elle fait semblant de tâter celle-ci avant de secouer la tête, faussement déçue. « Je crains malheureusement que non. » Un air docte sur le visage. « Peut-être que je devrais en ramener la prochaine fois, mais j’ai peur qu’ensuite tu ne veuille me voir que pour mon vin. » Cette fois c’est une tristesse soigneusement affectée qui vient danser sur les traits lunaires, alors qu’elle reprend une gorgée de son verre.

Elle peut presque déjà sentir le mal de crâne qui viendra lui percer les tempes demain matin, rien de tel que du mauvais vin pour atteindre l’ivresse plus vite et la faire durer plus longtemps. Dommage cependant, que les conséquences soient aussi peu agréables. La blonde lève un sourcil face au commentaire d’Imany. « Il y a de quoi en noyer milles comme aussi » qu’elle murmure par-dessus la coupe de son verre. « Mais ne t’inquiète pas. Je n’ai jamais eu une seconde peur de manquer d’alcool … pas ici en tout cas. » Certains pourraient penser que l’amour inconsidéré de la boisson des pirates n’est qu’un stéréotype. Cosima en revanche a pu voir de nombreuses fois qu’il s’agit avant tout d’une réalité.

Les doigts qui viennent taper contre le sol. « Comment tu sais que ça marcherait pas pour moi ? Je pourrais te surprendre ! » Un soupir, la tête penchée sur le côté et elle reconsidère, Cosima. « Bon d’accord peut-être que je ne pourrais pas vraiment te surprendre. » On peut prédire facilement ce qu’elle va faire, Cosima. Du moins si on la connait vraiment. Elle ne fonctionne pas à l’instinct ou à l’impulsion, elle n’est que réflexion. Elle hausse les épaules la blonde, ne sait pas comment mettre des mots sur ce sentiment d’échec absolu. « Je travaille depuis 20 ans sur la même chose. Pour essayer de trouver … de changer. Et quoi que je fasse je me retrouve toujours face au même mur. » Les yeux fermés et la tête qu’on secoue lentement. « Tu trouves ça juste toi ? » La question est rhétorique. La vie n’est pas une question de justice, mais de talent. Et de toute évidence elle n’a ni l’un, ni l’autre.

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