broken kaleidoscope

Damaged people are dangerous. They know how to make hell feel like home ☆ @SETH NIELSEN

Aurya fait habituellement plus attention que ça à ce qui se passe autour d’elle. Mais l’oisillon vient de passer une après-midi dans la petite taverne de la Place des Sanglots où Rehan travaille et les doigts comme les yeux sont fatigués des quelques babioles dérobées ci et là. Elle n’est pas faite pour ça, Aurya. Pour une vie de petits et de grands méfaits, pour la crasse et la survie. La candeur de la gamine est faite sur mesure pour la sûreté des palais, son innocence préservée par les épais murs de pierre. A défaut de tout ça, Aurya a appris à s’accommoder de ce qu’elle réussit à chaparder pour elle et sa famille, voleuse malhabile loin de rivaliser avec les experts Corbeaux. Aurya enfonce son capuchon et s’apprête à quitter l’affreuse place (comme si les murs ne ruisselaient pas déjà du sang autrefois versé dans les rues, il a fallu en plus défigurer la ville d’une monstrueuse statue) lorsqu’une main l’attrape sans ménagement, la forçant à faire volte-face. Des années à vivre dans le dédale de ruelles qu’est Sombrerue lui ont enfin appris quelques réflexes et, si l’oisillon chancèle légèrement, elle parvient à extirper son son poignet de la poigne de Seth.

Il est difficile de croire qu’ils ont un jour partagés quelques éclats de rire, difficile de voir en leurs yeux noirs qui s’affrontent autre chose que de la haine. Certaines leçons s’apprennent à la dure et uniquement comme ça : la mort d’Eimar aura au moins servi à fermer le cœur d’Aurya. Là où la haine de la cadette Ashaar est dirigée contre les hommes dans leur entièreté, celle de Seth a quelque chose de personnel – comme vient le confirmer sa tirade.

Aurya recule, un pas – deux pas, jusqu’à se cogner le dos contre un mur de brique. La réponse fuse, cinglante entre ses lèvres pourtant si habituées à se taire. Il y a un petit goût d’amer dans l’attaque de Seth qui agit comme un venin sur le cœur d’Aurya, qui fait bouillir ses veines plus encore qu’à l’accoutumée. « Je ne savais pas que le lyrium rendait bête. Aux dernières nouvelles je vis ici et pas toi, on pourrait se demander qui suit qui… - » Et elle regrette presqu’aussitôt de s’être laissée emporter : une autre leçon apprise avec les années ? Ne jamais donner à un soldat de l’Armée la moindre raison de s’acharner sur elle. C’est pourtant exactement ce qu’elle vient de faire.

Aurya recule d’un demi pas et se heurte un peu plus au mur de pierre qui entrave sa progression. Elle voudrait fuir alors ses yeux scannent la Place, habituellement pleine de monde mais aujourd’hui presque déserte. Les quelques rares passants détournent les yeux de la scène et continuent leur chemin. Aurya sait qu’il n’y aura ici personne pour la sauver. Lorsqu’elle relève les yeux vers Seth, c’est d’un sourire timide qu’elle essaie de plaider sa cause. Un mensonge de plus ou de moins, ça ne change plus grand-chose pour elle. Instinctivement, son pouvoir de charisme prend le pas sur tout le reste lorsqu’elle se remet enfin à parler. « Je suis désolée Seth - même si ça lui brûle les lèvres, c’est ainsi qu’elle a survécu jusqu’ici – Je ferai plus attention la prochaine fois. » Aurya compte sur ses pouvoirs de persuasion pour le faire douter assez longtemps que pour qu’il s’écarte un peu, l’oisillon réfléchissant déjà au meilleur chemin pour rejoindre Sombrerue. Seth a l’avantage de bien connaître la ville, mais Saamiqa, elle, pourrait parcourir le dédale de ruelles les yeux fermés et ne jamais trébucher.

Spoiler:

Damaged people are dangerous. They know how to make hell feel like home ☆ @SETH NIELSEN

Aurya ne reconnait ni le visage de Seth — autrefois pourtant familier — ni ses propres mots. La défiance dont elle se pare n’a rien de naturel ni de courageux : en ce moment précis, l’oisillon n’est plus mue que par une colère sourde. Ça bourdonne à lui en vriller les tympans alors que le sort s’acharne une fois de plus : pourquoi aurait-elle toujours à se cacher? A fuir? La gamine n’a cette fois rien d’autre à se reprocher que sa simple présence à Talevir. La magie s’échappe de ses veines comme de ses lèvres, instinctive alors qu’elle est acculée contre le mur. Elle ne réfléchit pas vraiment, Aurya. Parce que si elle ne connait plus Seth, elle a vu assez de soldats que pour reconnaître tous les signes d’un coeur rongé par lyrium. Immunisé contre les quelques tours qu’elle aurait pu lui jouer, elle qui n’a jamais été assez puissante que pour performer les envoûtements dont il l’accuse pourtant avec insistance.

Aurya n’a pas le temps de réagir qu’elle paie chèrement son erreur : Seth l’attrape par les bras pour la retourner contre le mur. Et plus que ses poignets coincés dans la poigne sévère de son ancien ami, c’est du haut de son front que part un élan douloureux. Aurya s’est cognée la tête contre le mur dans la manoeuvre, et la plaie brûle — perlant sa peau d’opale de rouge. La fae tente tant bien que mal de se défendre en remuant les poignets - toutes griffes dehors - mais il n’y a rien à y faire. Seth est plus fort et plus expérimenté qu’elle et Aurya est toujours sonnée par sa plaie à la tête qui continue de faire tourner Talevir autour d’elle.

— Me cacher derrière mes pouvoirs ? Son rire se perd dans un toussotement étouffé. Et toi, tu serais quoi sans ta dose de lyrium Seth ? Juste un gamin de plus terrorisé par ce qu’il ne comprend pas.

Elle joue avec le feu, Aurya, en le provoquant de la sorte. Les mots sortent de ses lèvres sans qu’elle ne puisse encore vraiment les retenir. Une vie de soumission a fini par avoir raison de ses dernières barrières : quoi qu’elle dise, Seth a de toute façon décidé de lui faire payer leur amitié passée. Quelques larmes se mêlent à la crasse de son visage alors que les mains de Seth sont toujours serrées autour des siennes.

— Si tu réfléchissais deux minutes au lieu de jouer au dur, tu verrais que j’ai jamais eu les capacités magiques pour te manipuler. Elle grogne, la joue toujours écrasée contre la brique. L’enseignement dans les Cercles est pas aussi bon que t’as l’air de le penser.

Aurya tente à nouveau de s’extirpe de la poigne douloureuse du soldat, toujours sans succès. Dans une dernière tentative d’en appeler à ses bons sentiments, l’oisillon tente le tout pour le tout — mais la raison a t’elle seulement encore une prise sur le Nielsen ?

— Laisse moi partir Seth. J’ai bien compris qu’on était plus amis, message reçu.