Wicked hearts ☆ Elizaveta

Aurya n’est pas supposée voir Elizaveta avant la semaine prochaine, et pourtant. Et pourtant l’oisillon est planté au milieu du Royaume des Soupirs - un mirage de plus au pays des illusions. L’innocente est étrangement à l’aise malgré la décadence du lieux, forte des années qui s’accumulent pour justifier la luxure. Aurya voudrait apprendre à danser plus vite que la musique, dévorée déjà par les ténèbres qui lui grignotent le coeur par bouchées voraces. Ça ne peut pas attendre la semaine prochaine, Liza, ça ne peut même pas attendre demain. L’oisillon est encore trop faible, encore trop doux au goût du monstre qui l’habite. Alors, Aurya attend. Regarde défiler les minutes et une heure se former alors que ses doigts tapotent le bar, tout le temps du monde pour envisager faire demi-tour. Que dirait Rehan si elle savait? Penser à sa soeur suffit presque à lui faire tourner les talons mais l’enfant des ruelles reste plantée là, terrorisée aussi bien par la peur de ce qu’elle est en train de devenir que par la faim de plus qui lui déchire les tripes. Il y a comme un goût de trahison dans la bouche d’Aurya à chaque fois qu’elle rejoint Elizaveta, comme des cendres coincées entre ses dents. L’oisillon sait que découvrir ce que manigancent sa carranam et sa soeur briserait ce qu’il reste du coeur de Rehan, prend le risque autant par égoïsme que par ce qu’elle pense être de la nécessité. Je n’ai pas le choix. La magie du sang comme dernière et unique alternative face aux trous qu’on a creusé dans son âme, seule solution qu’Aurya a trouvé pour avoir l’impression de garder la tête hors de l’eau après la mort d’Eimar. Rien de tout ça n’aura d’importance quand ils auront gagné, espoir enfantin qu’il sera encore temps de détricoter ses erreurs une fois la guerre terminée.  

Aurya saute du tabouret sur lequel elle était perchée à peine la silhouette d’Elizaveta entraperçue, un je ne sais quoi de fiévreux rallumé au fond des yeux. La plus jeune des Ashaar a toujours admiré la plus âgée des Dragomir, se souvient de la pointe de jalousie ressentie il y a de ça presqu’une vie entière - lorsque Rehan et Liza passaient tout leur temps ensemble à Cinnérial. L’émerveillement de la gamine n’est jamais vraiment parti, adoration sans bornes pour la matrone et ses milles secrets. L’assurance d’Aurya est, comme d’habitude, gâchée par son handicapante douceur. L’oisillon ne croit ni en elle ni en ses capacités et c’est sûrement là son plus grand défaut, aurait-elle seulement alors besoin de tout ces artifices. "Hi Liza - qu’elle murmure, à peine audible par delà la musique qui noie ses bégaiements. Aurya prend sa respiration et rassemble tout ce qu’il lui reste de courage pour se lancer - I know our next lesson isn’t until next week but… —" Liza l’entraîne un peu à part et c’est presqu’un supplique que lui adresse Aurya lorsqu'elles sont à l'abri des oreilles indiscrètes. "I’m not learning quickly enough. I’m not strong enough yet." Boum boum boum, son coeur qui bat au rythme de la musique et des mensonges. "I need more if I want to have a shot at being useful." Son estomac se tord tant les mots sonnent faux à ce qu’il reste de son coeur.

Rien de tout ça n’aura d’importance.
Que restera t'il d'elle une fois tout ça terminé? Est-ce qu'il restera assez à pardonner, Aurya?
 

L'ambiance est langoureuse, partout autour d'elle ; la louve se déplace au sein des lieux comme si ils lui appartenaient - pas encore. Son regard acéré supervise les actions de chacune et chacun, Liza naviguant en arrière plan pour laisser place à ses colombes. Les effluves d'alcool et de drogues se mélangent au parfum d'encens qui lui colle à la peau. Son épaisse chevelure ramassait en une coiffure complexe, brillant sous les lumières tamisées qui s'y reflètent. Les ténèbres et le sang se mélangent sur la peau de porcelaine ; une robe écarlate drape son corps et flotte autour d'elle comme l'illusion que son ombre veut s'échapper de son être. Sa voix perce les rires déjà alcoolisés des clients pour donner des ordres aux employés qui se préparent pour la nuit. L'astre lunaire est déjà haut dans le ciel sombre de Talevir et incite les plus solitaires à trouver de la compagnie. Les illusions sont lancées, pays des merveilles au royaume où les soupirs sont rois. Son royaume, son héritage, sa fierté. Chaque nuit, les ozilles s'entassent et son sourire s'élargit. Les affaires sont bonnes comme depuis des décennies, et ce ne sera pas sous son contrôle qu'elles failleront. Il fait chaud à l'arrière de la scène, là où les secrets sont dérobés aux iris étrangers. Ses doigts tortillent le tissu de son vêtement tandis qu'elle supervise les dernières finitions. La danse est chaque soir la même et les pions toujours les mêmes, enchaînés aux Dragomir et à leur luxure.

La posture est majestueuse, telle que l'on lui a apprit à être, une noblesse dans chaque pas. Elizaveta se déplace telle une reine au cœur de son royaume, l'identité d'Evadne revêtue pour la nuit. L'objectif est de passer inaperçue au milieu des désirs assouvis et des esprits embrumés. Son corps valse au milieu de ces âmes qui s'amassent sur les meubles luxueux. Son entrée se veut discrète, une ombre qui se faufile dans la chaleur du bordel. Pourtant, l'emploi de son prénom, son vrai prénom, la fait sursauter et met tous ses sens en alerte. Son regard tombe sur la plus jeune des Ashaar, perdue dans la pénombre de l'établissement - seule. Un — Aurya ? What are you doing here ? aux intonations étonnées qui s'échappent d'entre ses lippes carmins. Elizaveta regarde autour d'elles, à la recherche de quelqu'un qui aurait pu entendre son prénom entre les lèvres de la fae. Puis ses iris bleutés se posent sur la jeune Ashaar et l'observent, pleins de questions, pour une réponse. I know our next lesson isn’t until next week but… Une vague de compréhension l'atteint tandis que ses doigts viennent s'entourer autour du poignet d'Aurya, le corps frêle guidant l'oisillon à l'écart pour que leur conversation ne puisse éveiller l'intérêt de ses clients. — I understand your desire to improve, really Aurya and I want the same thing as you do. Power is easy to reach but hard to keep. And you shouldn't be too eager to learn so fast. Ses lippes s'étirent en un sourire compréhensif et sa main vient se loger sur l'épaule de son élève, dans un geste réconfortant. L'aînée se retrouvant dans l'envie inébranlable de pouvoir que la jeune fae montre, la magie coulant dans ses veines n'appelant qu'à s'échapper pour acquérir ce pouvoir si proche, et pourtant si lointain. Hors de portée, illégal, mais si puissant. Les barrières sont dures à établir, autant au début qu'après des années. Le risque est grand - la folie proche. Les esprits vacillent sous la vague de puissance qui les atteint lorsque la carne est tranchée et que l'hémoglobine coule sur la peau, libérant un pouvoir enfoui depuis des décennies. — You're already useful, you're a Ashaar, Aurya - power is in your blood. You just have to be patient and then... you'll be able to do anything you want. Le discours se veut persuadant. Convaincue de ses paroles, Liza sait que la fae de l’Été pourrait accomplir ce qu'elle désire - seulement une fois le pouvoir plus maîtrisé. L'hérésie qu'elles commettent, à chaque rendez-vous ne rend la tâche que plus excitante autant pour la professeure que pour l'élève. L'illégalité au bout des doigts et la Ashaar y est déjà familière - trop. L'innocence s'est perdue lorsque le frère y a perdu la vie. Et l'oisillon s'est nourri de ce qu'il restait à trouver.
 

Le temps qui passe aura au moins permis à Aurya de ne plus être mal à l’aise au Royaume, n’en reste pas moins qu’elle dénote grossièrement au milieu des habitués. L'oisillon se fait tout petit, aussi discret qu’une souris lorsqu’il s’agit de ne pas attirer le regard. Une vie entière d’errance a poussé la gamine à vouloir être invisible par delà tout le reste, il ne reste pas grand chose chez la fae de la sensualité supposée inhérente à son peuple. Pas comme Liza qui semble faite pour la splendeur du lieu, commandant l’attention du simple fait de sa présence. Et si la petite dernière des Ashaar est principalement là pour pratiquer la magie du sang, l’oisillon espère également - secrètement - pouvoir s’inspirer un peu de la confiance qui semble émaner de la maîtresse des lieux. Aurya peut déjà imaginer la guerre gagnée, ses péchés pardonnés devant l’insolence d’une assurance retrouvée. En attendant, les billes noisettes balaient le sol lorsque la main d’Elizaveta se ferme autour de son poignet - l’attirant à l’écart des clients. Aurya voudrait s’excuser, retient à peine les regrets qui se ruent jusqu’à ses lèvres. "I’m not sure being a Ashaar is enough." L’oisillon relève doucement les yeux jusqu’à les planter dans ceux de sa mentor, se mordillant doucement les lèvres tant elle a du mal à croire aux beaux discours de Liza. Ça ne sera jamais assez. Aurya n'est pas comme Naida ou Rehan, n'est pas (encore) digne du nom qu'elle porte. "Eimar died because of me —" Des mots qu’elle ne dit que très rarement à voix haute, lasse si lasse de ses litanies silencieuses que les mots en ont des accents rauques. "— And if the Red Army were to attack tommorow, I swear I’d be just as useless as that day." Elle ne se rend pas vraiment compte, Aurya, que sa magie n’est pas le vrai problème. Que la faiblesse vient de son coeur plus que de ses veines, de sa tête plus que de ses tripes. Elle est trop douce, Aurya. Trop douce pour la vie qui est la sienne, trop douce - sans aucun doute - pour les chemins qu’elle a choisi d’emprunter avec Liza. La noirceur qui la déchire n’en est que plus frappante, pans de ténèbres déchirés à même la porcelaine.

La colère qui perce entre les mots d’Aurya a cela de déchirant qu’elle est empreinte de résignation. La gamine a renoncé au pouvoir il y a bien longtemps, court au final après un rêve plus qu’autre chose: celui de voir son peuple libre, son frère vengé - enfin. Et Aurya est pour ça prête à sacrifier ce qu'il lui reste d'innocence. A ce moment là, peut-être, sera enfin t'elle digne du courage de sa lignée. C'est ridicule, Aurya - comment tu pourrais être assez forte pour ça. "I know you were not expecting me and I understand if you’re too busy or too tired to see me now." Une porte de sortie qu'elle laisse planer entre elle et Liza. Les yeux se baissent à nouveau, quelques instants seulement alors que l’Ashaar déglutit. "But I’d really like if we could practice, even just for a bit."