unstoppable (thrystan)

Le bâton vient s’écraser avec violence contre le mur de sa chambre, dans un craquement de bois. Iseul peste, Iseul tempête et elle se laisse tomber sur son lit, la tête entre les mains. Elle a les paumes qui brûlent d’avoir trop serré un bois trop usé, les doigts qui piquent des échardes que ses efforts ont laissées. Elle serre sa tête plus fort, appuie sur son front ferme les yeux dans l’ombre de ses mains et inspire longuement pour calmer la frustration. Se concentre sur la pulsation du sang dans ses tempes, un-deux-un-deux trop vite encore d’avoir voulu trop fort.
Elle s’est entraînée seule pour chasser l’ennui, a répété encore et encore les mouvements qu’elle connait par cœur, s’est acharnée sur ceux qu’elle maîtrise moins bien, les bras frappant le vide jusqu’à sentir ses muscles brûler, jusqu’à ce que l’empreinte du bois paraisse gravée dans sa chair. A buté contre ces mouvements que le corps ne veut pas apprendre, chorégraphie que les membres ne veulent pas, pas encore, apprendre parfaitement, a fendu l’air toujours plus fort. Et puis dans l’immobilité de ses échecs elle a pensé à Mei, rapidement, juste le temps de chasser l’image d’une figure adorée d’un esprit qui ne veut plus y penser, juste assez pour se demander ce qu’elle penserait d’elle, si elle était là, si elle la voyait là. Si elle était restée. Qu’est-ce qu’elle dirait, Mei, qu’est-ce qu’elle ferait ? Est-ce qu’elle aurait un sourire en corrigeant sa posture et en la voyant s’escrimer dans le vide contre des milliers d’ennemis invisibles, est-ce qu’elle lui dirait que c’est bien, est-ce qu’elle lui dirait peu mieux faire ? Alors pour ne plus y penser, Iseul a répété dans le silence jusqu’à avoir le souffle coupé, jusqu’à ce que les battements de son cœur dans ses tempes couvrent le bruit des souvenirs, a frappé l’air pour chasser les images d’un passé auquel elle ne veut plus penser.
Et maintenant elle est là, immobile, la tête entre les mains, les doigts qui massent les arcades jusqu’à ce que son cœur batte à l’unisson d’un souffle redevenu calme. Elle bascule en arrière, laisse son dos heurter mollement les couvertures mal arrangées de la nuit passée. Garde les yeux fermés un moment, étend les bras de chaque côté dans un soupir résigné. Elle écoute les bruits qui lui parviennent derrière la fenêtre, imagine la chorégraphie des passants en ne pensant plus à rien d’autre, les yeux finalement accrochés au vide de son plafond, l’esprit aligné sur ce même vide, l’esprit qui vagabonde sans accroche et qui bondit d’idées en idées sans s’attarder, l’esprit qui fatigue l’esprit qui ne sait pas quoi faire, qui ne sait plus quoi faire, déjà, encore. Comme d’habitude.
Iseul vit trop vite, trop fort, ne sais pas rester sans rien faire ou ne rien penser et bientôt la musique de la rue ne suffit plus à remplir ses pensées, et elle bat la mesure silencieuse sur les draps alors que sous sa peau ça crépite, ça s’agite encore.
Elle ne reste pas sur les échecs parce qu’elle ne peut pas se le permettre, parce qu’elle doit toujours être plus forte, parce qu’elle a toujours l’envie de mieux faire, le besoin lancinant de voir dans le reflet que lui renvoient les autres qu’elle vaut quelque chose de mieux, au moins, si elle ne peut pas être bien. Le rythme de ses mains s’accélère jusqu’à l’apogée de son orchestre silencieux, jusqu’à ce que le visage de Thrystan apparaisse dans son esprit et qu’elle se redresse brusquement, mue soudain, encore, toujours par l’envie de plus, par l’envie d’être plus. Elle saute sur ses pieds, enfile des chaussures au hasard, oublie sa veste dans l’entrée en claquant la porte sur le silence de leur atelier qui pèse toujours un peu trop fort quand il n’y a qu’elle pour l'entendre, quand lui, l’autre moitié d’elle, n’est pas là pour la compléter.
Elle marche vite sur les pavés nimbés de soleil du début de l’après-midi, avale le chemin sans y penser, la mémoire des allers-retours imprimés dans les muscles. Et quand le club endormi se dresse devant elle, quand elle ignore le regard inquisiteur de l’homme à l’entrée comme si elle était chez elle, quand la porte lourde cède sous la pression de ses paumes abîmées sur la grande salle encore vide, elle se laisse assaillir une minute par les souvenirs, plus proches, sans affect aucun, les souvenirs qui rappellent que l’espace de quelques années elle a vécu ici, ils ont vécu ici parce qu’il n’y avait nul par ailleurs où ils puissent aller. Iseul grimpe les marches quatre à quatre, pousse les portes qu’elle connait, les ouvre sur le vide sans toquer ni jamais les refermer derrière elle, jusqu’à ce qu’il se sorte de l’une d’elle, plus loin dans le couloir et qu’elle presse le pas pour le rattraper, le cœur battant d’une volonté retrouvée.
— Thrystan !
Elle l’appelle mais avant qu’il se retourne elle le dépasse, se glisse sur son chemin et s’arrête, poings sur les hanches et menton levé pour attraper les pupilles noires de l’homme qui lui fait face, contraint d’interrompre sa marche.
— Je vois que tu n’es pas très occupé, ça tombe bien. Elle n’en sait rien, en vérité, mais elle poursuit sans lui laisser le temps de protester. J’en ai marre de m’entraîner toute seule.
Elle interrompt sa tirade de justesse avant d’admettre qu’elle bloque, qu’elle a du mal, qu’elle n’y arrive pas, ou plutôt plus. Qu’elle a besoin de lui pour combler les lacunes.
— Alors entraîne moi. S’il te plaît.
Elle siffle les derniers mots pour être polie, pour déguiser l’injonction en demande.

"unstoppable” & @iseul soo-hyun ☆ Il n’y a pas beaucoup d’heures de sommeil au compteur mais la Nuit sait qu’il saura le rattraper. Suffisait d’une courte sieste ou deux dans le courant de l’après-midi pour ses rendez-vous d’affaires du matin soient oubliés. Qu’on se le dise néanmoins, en bon fae de l’astre nocturne qui se respecte, Thrystan n’aimait guère les aléas de la course du soleil et la Luminosité bien grandissante. En allait également de son teint qui, sans être des plus pâles n’étaient toutefois pas de ceux bien plus hâlés que l’on pouvait retrouver dans l’ancienne Cour de l’été. S’étirant tel un chat à la fin de son dernier rendez-vous, il en profite pour détendre ses muscles et errer tel le propriétaire des lieux qu’il est au beau milieu du dédale de salles. Son errance l’arrête un instant dans la salle dédiée à l’hiver où il profite de la luminosité moindre pour se reposer les yeux, tasse de café à la main. Il repense aux rebondissements de ces derniers jours, au travail qu’il lui reste à faire mais également à des courbes délicieuses qu’il se mettrait bien sous la dent s’il ne devait pas attendre la Nuit pleine pour pouvoir aller s’inviter dans les fameux draps. Air sérieux sur les traits, c’est au bout de plusieurs minutes qu’il se remet en marche, passant par des couloirs inconnus des yeux curieux, marches l’amenant au premier étage où il déambule, récupérant Nocturne au passage. Il est d’ailleurs en train de réprimander ce dernier en ouvrant la porte qui mène à la salle de réunion familiale, sortant toute juste de celle-ci lorsqu’il entend son prénom être littéralement hurlé dans son dos, corbeau sur son épaule droite. Traits encore invisibles à la fae, Thrystan lève les yeux au ciel en soupirant discrètement. Adieux courtes siestes, bonjour tornade de l’aurore. Visage impassible à la seconde où elle passe devant lui, Nocturne émet un son catégorique dans l’oreille de son détenteur. Il n’est pas ravi de voir la Soo-Hyun ici, mais quand est-ce que le plus impétueux de ses deux oiseaux appréciait la compagnie à dire vrai ?

Vêtu de l’une de ses sempiternelles vestes noires à broderies d’argent qui rappellent la voie lactée, Lantsov toise Iseul de son regard impassible et plein de hauteur, sourire en coin se retenant d’apparaître à ses traits tandis qu’il hausse un sourcil interrogateur sur sa présence ici de jour. Aux premiers mots qui s’envolent des lèvres de la jeune fae, il ne peut retenir un rictus. Le toupet de celle qui surnomme la tornade en furie n’a décidément pas d’égal, et s’il était du genre à s’offusquer rapidement, nul doute qu’il serait déjà en train de lui hurler dessus. Mais Thrys n’était pas de ceux-là, loin de là, et à dire vrai le tempérament d’Iseul avait beau consommer une grande quantité d’énergie, il ne pouvait pas nier l’apprécier malgré tout. Rien que pour sa répartie à toute épreuve. Sur son épaule, le corbeau gonfle ses plumes sans quitter l’intruse du coin de son œil aussi noir que ceux du Lantsov. « Et sous prétexte que tu as décidé en avoir assez de t’entraîner seule, tu as décrété que tu pouvais débouler entre ces murs comme la tornade que tu es en espérant que je puisse t’accorder tout le reste de mon après-midi ? ». Effleurant la tête de son oiseau du bout des doigts pour lui sommer de s’apaiser - sans grand succès – le ténébreux ne quitte pas Iseul des yeux, la scrutant de toute sa hauteur, air empli de ce mystère qu’il aime à se donner avec tout le monde. « Aurais-tu oublié que ce que l’on voit du club la nuit et en apparence n’est qu’un petit morceau de mon agenda quotidien ? ». D’un pas, il contourne la fae et entreprend de continuer sa route dans la pièce voisine, l’une des salles où il s’exerce lui-même avec son carranam en temps normal. « Je sors tout juste d’un entretien d’affaire. » qu’il énonce, sans jamais avoir aucune gêne de l’avoir contournée comme si elle n’existait pas. Cela fait partie de ses taquineries, car il est toujours curieux de voir combien de temps elle est capable de tenir pour obtenir ce qu’elle veut. « Du coup, reprenons les choses au début. Iseul, bonjour. ». Cette fois, son sourire vient apparaître au coin de ses lèvres, empli de ce jeu qui n’appartient qu’à lui. « Je pense avoir mal entendu dans le couloir, tu as vraiment dit s’il te plait ? ». Juste histoire d’enfoncer un peu le couteau dans la plaie et parce que les hahls savent combien ça l’amuse. A défaut de pouvoir faire la sieste, peut-être serait-il en mesure de considérablement s’amuser en fin de compte cet après-midi. Sans doute cela lui ferait-il oublier les autres complexités de ses affaires en cours. « Quel créneau horaire devrais-je t’accorder d’après toi ? » qu’il ajoute en sortant un agenda de sa poche, de ceux qu’il n’a guère besoin car il n’oublie jamais un rendez-vous, mais au-moins cela contribue à maintenir l’illusion.      

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Campée fièrement devant Thrystan, les poings toujours serrés sur les hanches, elle plisse les yeux d’un air mauvais en toisant le corbeau sur son épaule, lorsque celui-ci émet un croissement. Elle n’a rien contre les corbeaux, Iseul, n’a rien contre les animaux de manière générale, sauf ceux qui ne l’aiment pas – et Nocturne, il ne l’aime pas alors elle ne l’aime pas non plus. Elle retient une grimace puérile quand il gonfle ses plumes noires en la regardant d’un air noir, et glisse à nouveau les yeux vers le visage de l’homme qui lui fait face lorsqu’il lui répond. Elle fait la moue, l’écoute enchaîner sans rien dire, lui emboîte le pas aussitôt lorsqu’il la contourne presque comme si elle n’était pas là en serrant les dents, s’engouffre dans la pièce après lui.
— Oui, oui, très bien, mais il est fini ton entretien d’affaire maintenant. Qu’elle répond dès qu’il a fini, alors qu’il lui tourne encore le dos.
Quand il se retourne pour lui sourire, l’oiseau toujours perché sur l’épaule comme une provocation involontaire pour parafer ses mots, elle croise les bras sur sa poitrine en revenant se planter près de lui.
— D’accord, c’est ça. Bonjour Thrystan. Comment vas-tu ? Belle journée, n’est-ce pas ?
Elle se moque, accentue d’une fausse politesse les mots sitôt balayé d’un geste de main impatient. Elle se fiche de savoir comment il va, elle se fiche que ça soit une belle journée, sait que lui aussi, au fond, ça ne l’intéresse pas.
— C’est bon, tu es content ?
Alors qu’il mentionne le s’il te plaît qu’elle a forcé à la fin de sa demande, elle pince les lèvres et force un sourire.
— Au moins tu n’as pas encore de problèmes d’audition.
Quand il sort de sa poche le petit agenda, qu’il l’ouvre comme si elle n’était plus que ça, plus qu’un nom à caser sur une ligne, entre d’autres, entre tous ceux qu’on ne voit qu’une fois et qu’on oublie après ça, elle soupire rapidement. Force son sourire sur ses lèvres, pour ne rien laisser paraître de son impatience ou de l’irritation qui vient naître au fond de son ventre. Elle n’est pas de ceux qui sont calmes, de ceux qui attendent ou de ceux qui se plient sans rien dire, mais au moins elle sait jouer, Iseul, et elle sait que Thrystan, au fond, c’est tout ce qu’il fait. Elle entre dans la partie, comme elle le fait toujours, sans trop savoir si elle doit être amusée ou agacée, plus agacée qu’amusée surement parce qu’elle l’était déjà avant d’arriver. Parce qu’Iseul elle sait faire semblant, mais elle a du mal à attendre.
— Oh, je ne sais pas, c’est vrai tu as l’air si occupé après tout. Une chance qu’on soit déjà ici, n'est-ce pas ? (elle englobe la pièce d’un geste de la main) Alors pourquoi ne pas rentabiliser ton temps et commencer tout de suite ?
Elle lui sourit largement et s’approche de quelques pas en croisant les bras dans son dos, l’air faussement innocent, jette un autre coup d’œil au corbeau qui la toise toujours.
— Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas entraînés, en vérité. Elle secoue la tête, hausse les épaules, l'air presque désolée. J'ai peur que tu sois rouillé, tu vois. Peut-être qu’après tout je n’ai plus besoin de toi.
Elle ment pour garder la face, parce qu’elle sait, Iseul, elle sait qu’elle a besoin de lui. Qu’il y a trop de choses encore sur lesquelles elle butte, qu’elle recherche désespérément des mentors pour combler des lacunes qu’elle a trop nombreuses, pour l’aider à devenir plus forte, toujours, parce qu’il ne lui reste plus que ça. Parce qu’elle veut survivre, parce qu’elle veut pouvoir se battre, pour elle et pour les autres et ne plier devant personne. Parce qu’elle veut tout connaître, et parce qu’elle ne peut plus faire ça seule.
Parce qu’au fond, Thrystan, elle l’admire, pour la guerre qu’il a connue, pour le passé dont il a fait partie, encore imprimé dans son être, et pour tout ce qu’il a à lui apprendre, pour tout le savoir qu’il peut lui transmettre, là où en elle il n’y a qu’une âme brûlante avide de plus, avide d’être plus.