spring flowers bloom (hyeri)

Elle a la colère plein la tête, Iseul, alors qu’elle envoie un caillou voler d’un coup de pied. Elle marmonne pour elle-même, les poings serrés dans les poches alors qu’elle shoote dans tout ce qui jonche le sol et qui croise ses semelles usées. Ils ne comprennent rien, personne ne comprend rien, personne ne sait plus rigoler et en voulant à tout prix oublier d’être eux ils l’empêchent d’être elle.
Elle transforme les mimiques de sa tante en grimaces alors qu’elle les imite, alors qu’elle répète les mots qu’elle n’entend que trop et qui toujours lui disent de ne pas faire ça, de ne pas être comme ça, d’être moins cela. Elle tire une mèche de ses cheveux devant ses yeux, contemple les mèches couleur feu, souffle dessus pour qu’elle retourne se placer dans le reste de sa tignasse en pagaille. Elle n’a pas exprès, Iseul, mais ça l’amuse. Ça l’a amusée de se dresser au milieu des autres au réveil, et elle a aimé entendre leurs rires alors qu’elle inventait des personnages imaginaires bâtis sur les erreurs d’un pouvoir encore maladroit. Et puis au sortir de la chambre, quand Sun a contemplé le déguisement improvisé avec cachés dans les yeux les notes d’un sourire, elle s’est sentie presque fière, quand bien même il ne s’agissait là que d’une erreur qu’on ne contrôle pas encore. Mais d’un battement de cils Sun a caché les sourires, lui a demandé ce qu’elle faisait, lui a dit de rendre à ses cheveux leur couleur corbeau, et Iseul a dit non, Iseul a protesté parce qu’elle proteste toujours, et Sun dans un soupir las a redemandé encore, plus sèche cette fois, mais Iseul n’a pas voulu entendre et n’a pas voulu montrer surtout qu’elle ne pouvait parce qu’elle ne sait pas encore, parce que ce n’est pas de sa faute si ses cheveux se sont habillés du même feu qui brûle un peu trop fort, tout le temps, à l’intérieur. Elle est partie en claquant la porte alors qu’on appelait son nom encore avec entre les lettres des accents de reproche.
Elle est énervée, Iseul, contre elle autant contre eux.
Contre elle-même parce qu’elle n’est pas capable, encore, de maîtriser un pouvoir versatile ; contre eux parce que c’est tout ce qu’elle entend dans leurs mots – tous ses échecs, tout ce qu’elle n’est pas encore, est trop ou pas assez.
Alors elle frappe dans les cailloux au hasard, les poings serrés et les lèvres qui récitent les mots déformés, détournés en des chimères de lettres et de reproches qu’elle est la seule à entendre. Elle erre entre les arbres sans trop savoir où aller, joue à éviter rayons qui passent entre les feuilles d’un soleil qui termine de se hisser dans le ciel, laisse la brise froide de l’hiver qui s’essouffle apaiser le brasier brûlant de son cœur. Et déjà elle oublie et pense à autre chose, se demande s’il est trop tôt pour aller trouver Haru et Iroh, s’il faut retourner chercher Sung, s’il faudra encore s’échapper des leçons ennuyantes et trop strictes pour deux enfants au cœur un peu trop plein de rêves et de liberté. Elle a le cœur qui oscille, hésite entre faire demi-tour ou bien poursuivre au hasard jusqu’à tomber sur eux, jusqu’à tomber sur lui et oublier les heures jusqu’à ce que la nuit les rappelle. Mais déjà ce matin elle a laissé Sung tout seul, alors finalement elle s’arrête, attrape le tronc d’un arbre d’une main et tourne autour à toute vitesse pour retrouver l’envers du chemin vers une maison qui est devenue la leur.
Elle ralenti en reconnaissant un décor appris par cœur au creux de cette montagne dont elle a fait son jardin, se cache dans les ombres pour guetter sans se faire voir. Elle cherche la silhouette de son frère, reconnait celle de Kazuma près d’une autre, Sun, encore auréolé des restes d’un caprice d’adolescente trop fière pour admettre qu’elle ne sait pas faire. Iseul contourne sans faire de bruit, saute d’ombre en ombre pour repérer son frère et échapper à la vigilance d’adultes un peu trop sérieux pour un esprit pas encore près à entendre que tout ce qu’ils font, tout ce qu’ils veulent, ce n’est que leur bien.
C’est là qu’elle la voit, un peu plus loin, de dos et accroupie au pied d’un pin, petite silhouette fragile et discrète au cœur qui ne fait pas de vagues, quand bien même il voudrait pouvoir en faire. Iseul fronce les sourcils, s’appuie contre un tronc les bras croisés, la tête penchée. Elle se demande ce que fais Hyeri, cherche autour d’eux la trace de ses frères mais aujourd’hui il n’y a qu’elle et les projets d’Iseul se muent en nouvelles idées quand elle le réalise. Elle s’approche rapidement, s’accroupi à côté d’elle et pointe du doigt les herbes à leurs pieds.
— Qu’est-ce que tu fais ?
Elle trace des formes au hasard dans la terre alors qu’elle penche la tête vers sa cousine pour attraper son regard, dans un bruissement de cheveux roux.
— Tu dois encore trouver je ne sais pas quelle plante pour faire je ne sais pas quoi ?
Elle serre ses mains maintenant tâchée de terre autour de ses genoux en basculant d’avant en arrière, jambes contre la poitrine et tête en l’air.

@iseul soo-hyun

C’est qu’elle en vient presque à apprécier cette vie monotone Hyeri. Ce calme qui leur offre une fausse impression de sécurité - ils pourraient s’imaginer vivre ainsi encore des années. Loin de toute civilisation, de toutes expériences qu’elle aurait dû connaitre à son âge, de tous ces décors qu’elle ne peut se permettre d’approcher que dans son imagination. Elle ne se plaint pas, ils ont connu des situations bien plus précaires et si ce souffle de renouveau la pique au cœur parfois, c’est toujours en prenant le bon côté des choses qu’elle avance dans la vie. Là où le fatalisme pourrait l’assombrir, son aura demeure encore et toujours aussi solaire. C’est sa manière d’accepter ces années de fuite à devoir se cacher de tout et de tous. Et jusqu’à présent, cette mentalité lui a permis de ne pas laisser ses angoisses l’emporter. Les épaules frêles mais la tête bien ancrée sur ces dernière, l’éducation donnée par sa mère y est aussi pour beaucoup.

Pourtant.
Même Hyeri a ses failles.

Les pieds nus, elle quitte le bois usé de la cabane pour le parterre humide de l’herbe entourant la modeste demeure. — Ne t’éloigne pas trop, lui crie Haneul, qui ne reçoit qu’un simple geste de la main en guise de réponse. Cheveux noirs qui virevoltent dans une danse délicate, Hyeri s’égare dans les sentiers de la forêt épaisse qu’elle apprivoise un peu plus chaque jour. S’éloigner et se retrouver avec elle-même est quelque chose qu’elle ressent comme un besoin pressant lorsqu’elle ne peut faire autrement que de s’imprégner des émotions des autres. L’esprit accaparé par tant de choses qu’il devient difficile de réfléchir clairement. L’ambiance est parfois pesante au sein du groupe, ils sont une poignée de personnes à devoir survivre ensemble et malgré l’amour et le respect qu’ils ont pour l’autre, même les plus patients finissent par céder sous le poids des tensions.
Mais tout fini par s’arranger, les rires remplacent les doutes et pendant un temps ils en oublient leur réalité. C’est agréable. Ils se disent qu’après tout, du moment qu’ils sont tous ensemble alors c’est le plus important. C’est en tout cas ce que pense Hyeri. Se savoir avec ses proches, malgré les difficultés. Il lui est possible de tout affronter tant qu’ils sont là près d’elle. C’est pourquoi elle s’éclipse dès que le ton monte et que la communication se fait difficile. Rarement au centre des conflits, elle les évite si possible. C’est un point sur lequel elle travaille, apprendre à affronter les choses et à dire ce qu’elle a sur le cœur sans laisser le flot de ses pensées la paralyser. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Hyeri n’est pas timide et au fil des années qui s’écoulent, elle s’affirme encore. Mais face à des personnalités plus prononcées, il lui est encore compliqué de s’imposer. Elle n’est pas Iseul. Elle n’a pas ce feu intérieur qui l’anime dans chacune de ses actions. Une qualité comme un défaut, tout dépend des situations.

Accroupie sous la protection d’un pin imposant, elle déterre une poignée d’Azalée ayant miraculeusement survécu à l’hiver. Fragile, Hyeri les dépose avec délicatesse dans un tissu doux qu’elle glisse ensuite dans sa sacoche. A sa taille se trouve également un petit livret comportant les différentes plantes et leurs propriétés, le tout dessiné à la main par Eunji qui a bien voulu s’adonner à cette tâche sous les conseils avisés de Kazuma. Leur mode de vie les oblige à s’y connaitre un minimum mais c’est davantage pour accompagner son don de guérisseuse qu’elle cherche à approfondir ses connaissances. Ainsi, elle ne se repose pas totalement sur son pouvoir et peut s’aider de ce que la nature a de mieux à leur offrir pour contrer divers maux. Détendue mais les traits sérieux, elle ne remarque qu’au dernier moment la présence d’Iseul à ses côtés. Les yeux levés vers sa cousine, à peine surprise car elle l’a vu, un peu plus tôt, s’enfuir vers les feuillages après la dispute avec Sun. — Je fais exactement ça, qu’elle répond en esquissant un sourire, difficile de faire autre chose dans le coin, ce n’est pas tant un reproche, Hyeri se plait à se perdre dans la nature à la recherche de nouvelles plantes mais il est vrai que leur quotidien n’est pas des plus exaltant quand il y a si peu de possibilités qui s’offrent à eux dans leur situation. — Et toi, besoin de t’aérer l’esprit ? son regard s’attarde sur sa tête auréolée d’une couleur automnale, alors que ses propres doigts jouent avec les quelques mèches qui tombent sur le visage d’Iseul. — Je crois que Mei te cherchait tout à l’heure…, la moue pensive elle fixe un point imaginaire pour se remémorer les paroles de la garde puis se tourne à nouveau vers sa cousine, uhm, il me semble l’avoir entendu évoquer une histoire de discipline. Tu sais, elle avait ce regard déterminé et très sérieux, elle avait l’air décidé à mettre la main sur toi, elle pince ses lèvres rosées avant de les laisser s’étirer en un grand sourire amusé. — Si jamais on nous le demande, je dirai que tu étais avec moi, à m’aider, petit mensonge qui n’en est pas vraiment un mais que Hyeri propose naturellement. Il faut savoir se serrer les coudes face à Mei, qui bien qu’elle soit très appréciée des Soo-Hyun, n’était pas garde pour rien.

Iseul écoute Hyeri distraitement, vaguement concentrée sur le mouvement de ses mains, mais déjà l’esprit déjà ailleurs, les pensées qui se cognent au rythme du balancier de son corps. Elle hoche la tête machinalement en guise de réponse en répétant ce qu’elle vient de dire dans sa tête, parce qu’elle se trompe, Hyeri.
Il y a tant à faire dans le coin, tant de sentiers sauvages où l’on use ses semelles sans savoir où aller, tant de sommets inatteignables et tant de choses cachées entre les arbres. Il y a des choses sous chaque rocher, et pas seulement des plantes à apprendre par cœur, il y a tant d’aventures, d’histoires et de rêves à construire. Il y a les rires d’enfants qui n’en sont plus vraiment, il y a les courses effrénées et sans but où l’ont fini par se laisser tomber dans les feuilles mortes, à bout de souffle mais le cœur battant. Il y a toutes les choses à découvrir et qu’on ne leur laisse pas voir, il y a les limites à repousser, puisqu’autour d’eux et bien plus loin que là où peuvent voir leurs yeux, il n’y a que les arbres et la montagne. Parfois, une rivière ou se baigner. Un campement abandonné. Des traces de passages, d’autres, avant eux, déjà presque effacées par le temps et une nature sauvage là où les hommes ne viennent pas la fouler.
Mais Hyeri, Hyeri elle n’est pas comme elle, pas vraiment. Il y a le même sang dans ses veines, la même histoire, presque les mêmes blessures et surtout la même urgence. Mais il y a un cœur calme, surtout, un cœur qui cache les envies de liberté là où dans le sien, de cœur, on peine à les étouffer.

Iseul grimace quand elle mentionne Mei, cesse de se balancer et pose la joue sur ses genoux repliés contre elle.  
— De toute façon c’est toujours pareil. Elle soupire. Qu’est-ce que j’ai encore fait de mal, cette fois-ci ? Je suis juste partie. Et puis, ce n’était pas complètement ma faute.
Elle tire les mèches en désordre de ses cheveux devant ses yeux, fait la moue en contemplant les nuances de roux qui ne se sont pas encore estompées.
Elle sait très bien ce qu’elle a fait de mal, sait très bien qu’elle s’est emportée trop vite, qu’elle a crié trop fort, qu’elle est partie sans dire, comme hier et comme probablement demain. Qu’elle est partie pour revenir trop tard, au milieu d’un repas ou d’une leçon qu’elle n’écoutera pas, le cœur enfin calmé, comme s’il ne restait plus rien des éclats de la matinée. Elle sait très bien, Iseul, ce que Mei, Sun, ou Kazuma ont toujours à lui reprocher, ça ne veut pas dire qu’elle est d’accord. Quelque part, elle comprend. D’autre part, elle ne veut pas.
Pas entendre les reproches.
C’est plus facile, après, quand il faut recommencer.
Mais il y a des reproches qui pèsent plus que d’autres, et celles de Mei en font souvent partie parce qu’elle l’admire, Iseul, elle voudrait la rendre fière, elle voudrait se faire réceptacle d’un savoir et d’une chorégraphie de gestes qu’elle seule peut lui transmettre. C’est surement elle qu’elle écoute le plus pour tout ce qu’elle représente et pour tout ce qu’elle projette en elle. Elle les connait par cœur, les reproches de Mei, parce qu’il y a des années qu’elle les entend. Que maintenant, elles sont moins dures, qu’elles sont répétées pour la formes, teintées d’une tendresse maladroite qui s’est glissée sous l’armure guerrière.
— Est-ce que la leçon a commencé ? qu’elle demande en fronçant les sourcils. Mh, je suppose que oui, puisque tu es là.
Elle se redresse, frotte ses mains contre son habit déjà plein de poussière pour en enlever la terre.
— Sung doit être occupé, alors.
Elle marmonne plus pour elle-même, sans regarder Hyeri, pense à son frère, pèse le pour et le contre de sa situation. Elle pourrait faire demi-tour, partir à sa recherche et le tirer d’une énième leçon pour l’entraîner derrière elle, attraper la main de Haru au passage et se perdre entre les arbres sans même savoir quoi chercher, revenir à la nuit tombée seulement, les vêtements couverts d’épines de pin et quelques éclats de rire qui restent entre les dents. Elle pourrait mais la leçon a commencé, et elle sait que si l’un des adultes l’attrapent elle ne pourra plus s’enfuir avant de s’être pliée, comme les autres, à ces exercices qui ne l’intéressent pas tant que ça.
Elle penche la tête en regardant Hyeri, entrevoit une porte de sortie. Se dit qu’elle pourra toujours revenir chercher son frère plus tard.
— Tu as dit qu’il n’y avait que ça à faire dans le coin, non ? Elle sourit de toutes ses dents, les yeux brillants d’une malice retrouvée. Ce n’est pas tout à fait vrai, pour peu qu’on s’éloigne un peu de la maison.
Elle voudrait lui monter, à Hyeri, toutes les choses qu’elle ne voit pas. Elle voudrait l’inviter, juste quelques heures, dans son monde à elle, dans le monde des cœurs battants qui appellent l’aventure.
— Puisque tu es là, tu veux venir avec moi ? On pourra toujours ramasser des fleurs en chemin, pour avoir une excuse.  

@iseul soo-hyun

— Je ne sais pas ce qui est préférable, le regard réprobateur de Mei ou les sermons de Kazuma, elle laisse échapper un rire qui se mue en un sourire amusé, contrastant avec la moue boudeuse d’Iseul. L’une comme l’autre, elles savent ce que c’est de ne pas faire assez mais le tempérament fougueux de sa cousine lui a causé bien plus de tort que l’esprit volatile de Hyeri. Elle n’a pas la prétention de croire qu’un jour elle pourrait satisfaire pleinement les attentes de Mei, et elle sait bien que cette dernière n’attend pas grand-chose non plus de Hyeri. Elle n’a pas cette fibre combattive, sa patience se trouve ailleurs, dans un autre domaine et l’art du combat à l’Aube ne coule pas dans ses veines. C’est pourquoi son temps libre, elle le passe aux côtés du Maitre. Qu’au lieu de connaitre les faiblesses des autres pour mieux en tirer parti en cas de danger, elle s’en sert pour refermer les plaies, guérir les maux. Sa sacoche remplie de plantes et de fleurs aux vertus divers sont ses flèches, ses mains son arc.

Après avoir glissé d’autres échantillons dans son tissu qu'elle range dans son sac, elle imite Iseul et ses genoux quittent le sol terreux, le regard perdu sur sa cousine qui semble accaparée par un flot de pensées qui lui échappent. Elle a parfois du mal à mettre des mots sur son comportement, ou sa personnalité. Sans porter de jugement aucun, il lui arrive de l’observer avec curiosité et de se demander si, un jour, elle deviendrait un peu plus comme elle. Plus spontanée, plus téméraire. Un tas de qualificatifs qui lui glissent entre les doigts. Il n’est pas question de jalousie, peut-être juste une forme d’envie qui se manifeste par de l’admiration. Mais qui, au sein de sa famille, n’obtient pas d’elle une forme d’adoration ? Jeunesse toute relative qui mérite encore de voir passer les années avant de se sentir parfaitement confiante en ses propres capacités et d’accepter d’être ce qu’elle est sans chercher à être un peu trop comme les autres.
Elle cligne des yeux alors qu’elle revient au moment présent, attrapant au passage les paroles d’Iseul. — Tu as une idée derrière la tête ? sourcils qui se froncent à mesure que le visage de sa cousine s’illumine. — C’est vrai ? l’enthousiasme la contamine progressivement tandis que ses yeux se mettent aussi à briller d’une lueur qu’elle perd parfois. — Oui bien sûr que je veux venir ! c’est comme si elle avait perdu plusieurs saisons, lui rendant l’apparence d’une enfant en quête de nouvelles aventures. Hyeri regarde par-dessus son épaule, le poids des ainés qui trouveraient forcément quelque chose à redire mais sa décision est déjà prise. — Je te suis, là elle peut, là où Iseul l’accepte, Hyeri la suivra.